S’enfermer dehors (David Desjardins – Voir)
Source: David Desjardins, Voir Québec, 6 mai 2009.
(…)LES MAINS – Quand j’habitais sur la 7e Rue, je voyais toujours le même type fouiller dans le conteneur à déchets, derrière l’édifice où je vivais. Avec le temps, j’ai pris l’habitude de lui garder mes canettes vides dans un grand sac. Lorsque je l’apercevais par la fenêtre de la cuisine, j’ouvrais la porte, le hélais, et lui disais que j’avais quelque chose pour lui. Toujours très calme, réservé, il prenait le sac que je lui tendais, l’ouvrait, regardait dedans et me souriait en balbutiant une sorte de remerciement presque inaudible. C’était toujours pareil. Sauf une fois. Nous revenions du lac, ma blonde, ma fille et moi. Je l’ai vu dehors, suis sorti avec un sac, et il m’a demandé si je fumais, ce qui était le cas à cette époque pas lointaine du tout. Nous avons donc grillé une clope, adossés au mur de briques. Il m’a raconté qu’il venait des Îles-de-la-Madeleine, et plein d’autres choses que je n’écoutais pas, puisque j’étais obsédé par ses mains. Des mains de type qui fouille dans les poubelles. Des mains noires, vraiment. Des mains calleuses, pleines de cicatrices, sans doute coupées par mille tessons et boîtes de conserve. J’ai un peu honte de l’avouer, mais après lui avoir dit au revoir et lui avoir serré la main, je me suis précipité à l’intérieur pour laver les miennes. Deux fois de suite. Je l’ai croisé l’autre jour, il ne m’a pas reconnu. Il avait des vêtements parfaitement démodés, mais propres, la barbe taillée, le regard libre. Mais j’ai su avec certitude qu’il allait sans doute un peu mieux quand j’ai aperçu ses mains: immaculées.
[ La suite. Aussi, cet autre article du même auteur: Limoilou est une femme. À lire enfin, Les chroniques de Marjorie. ]
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