Métiers traditionnels (3) : Le cordonnier de quartier
Il y eut un temps où on pouvait croire que tant qu’il y aurait des pieds il y aurait des cordonniers. Raisonnement logique, mais naïf; la preuve : sans s’enfarger dans les statistiques, assumons prudemment qu’il n’y a pas moins de pieds aujourd’hui qu’autrefois. Or, il y a moins de cordonniers.Trois fois moins, même, selon Guy Dupont, de la cordonnerie qui porte son nom. Lorsque je lui fais remarquer que, tout de même, à Limoilou, nous sommes bien desservis en la matière (Grands Pas, Saint-Albert, Cordonnerie Teinture…), il rétorque que la moitié des cordonniers ont néanmoins cessé leurs activités au fil des années. «On est dans un monde qui change. Un monde, comment dire, plus de communications que de travail manuel», analyse-t-il.Le cordonnier de quartier aujourd’hui, il a donc forcément de l’expérience derrière la cravate. Il a su s’adapter aux changements en variant ses services. Il a assimilé de nouvelles techniques de production. On devine aussi qu’il est animé de la même passion pour le métier. Ce sont là les conditions de sa survie.
D’hier à aujourd’hui
Prenez Guy Dupont. Il tient commerce depuis 35 ans sur la 1re Avenue, dans un local voisin du Marinier. Espace pittoresque, d’ailleurs, dont les dimensions réduites favorisent une proximité qui amène les clients à dire «mon cordonnier».Avant lui, M. Bouchard a rafistolé des souliers et des pantoufles pendant 50 ans. C’est lui qui a enseigné la cordonnerie à Guy Dupont, qui se consacrait plutôt à l’artisanat à l’époque, fabriquant jupes, sacs d’école, sacoches et autres objets en cuir.Ce double talent lui aura permis de traverser l’épreuve du temps. Ça, et les qualités d’un bon cordonnier : la polyvalence, la capacité à s’adapter, la résistance au stress. Des connaissances en administration sont également utiles pour qui, comme lui, est son propre boss, de même qu’une certaine dose de créativité, ne serait-ce que pour se démarquer.Encore que, entre les commandes spécifiques de diverses compagnies et les semelles décollées des souliers fabriqués en Chine, il n’a pas toujours l’occasion d’en faire usage, de cette créativité.«Les gens paient moins cher aujourd’hui leurs produits de Chine; ils vont être plus du genre à s’acheter une nouvelle paire plutôt que de faire réparer.» Guy Dupont compare avec l’époque Trudeau, alors qu’une loi favorisait l’achat de produits régionaux, de meilleure qualité. «Moi, j’ai des vieilles bottes», répond-il en souriant lorsque je lui demande s’il s’est adapté aussi à cette nouvelle réalité du prêt-à-jeter.
Et après ?
Guy Dupont commence à songer à la retraite. Il n’est pas pressé – «ce n’est pas un métier où on est brisé» –, mais il ralentit le rythme et en profite pour voyager plus. Un récent séjour en Italie lui apprenait que l’avenir du métier de cordonnier n’y est pas plus encourageant qu’ici. Au Québec, plus d’écoles où apprendre les rudiments de la profession, plus d’employés dans les ateliers, plus de relève qui cogne à la porte. «Mais 1000 choses à faire quotidiennement.»Et moi qui l’empêche de se mettre à l’ouvrage. Le temps file, mais il règne dans la cordonnerie un parfum d’autrefois qui donne l’impression que les horloges ont suspendu leur course. Même les machines opèrent depuis l’époque de M. Bouchard. Le monde change, mais la qualité dure.
Cordonnerie Guy Dupont 1767, 1re Avenue 418 641-1096
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