Je voulais juste que mon père revienne pour Noël

Peintre: Marce Savary
C’est le but (extrait). Huile sur toile. Peintre : Marcel Ravary (Montréal).
Noël 1959. Ce serait le plus triste Noël de ma vie. Mon père était décédé en août. J’avais 12 ans.Au début de décembre, les voisins préparaient leur cour arrière pour faire une patinoire. En tout, autour de notre maison, il y avait cinq patinoires, entretenues par cinq pères de famille qui trimaient dur pour avoir la plus belle glace aux alentours. Notre univers, pendant les mois d’hiver, c’était ces patinoires plantées dans les cours arrières des maisons du quartier. La nôtre était la plus petite, mais la glace y était la plus belle, la plus lisse. Mon père travaillait fort pour ça. Je me souvenais…Il était peut-être 6h du matin quand j’entendis couler le robinet de la cuisine. C’était mon père qui remplissait des chaudières d’eau afin d’arroser la petite patinoire de notre cour arrière. À tous les matins, très tôt, mon père arrosait notre patinoire. Ma mère lui criait: «Dépêche-toi, tu vas arriver en retard au travail.»Dès que la glace était prise et bien lisse, j’enfilais mes patins et mon équipement de hockey, et j’allais pratiquer mes slap shots en attendant mes amis. Vers 10h, nous étions une quinzaine de joueurs sur notre petite surface glacée placée entre deux hangars de tôle. On divisait les équipes et le match commençait.Mais, en cet hiver de 1959, il n’était plus là. Pour la première fois de ma courte vie, il n’y aurait pas de patinoire derrière chez nous entre les deux hangars de tôle.Je regardais la cour et je pensais à tous ces hivers passés. Je me rappelais…Un jour, papa revint de chez Nap Côté Sport (magasin très connu de Saint-Roch) avec deux grosses boîtes de poudre, une bleue et une rouge. «C’est nouveau, me dit-il. C’est pour faire les lignes sur la patinoire.» Et c’est ainsi que notre petite glace prit des allures de pro.  Wow, nous étions les seuls dans le voisinage à avoir de vraies lignes sur la glace, comme au Colisée de Québec ou au Forum de Montréal!À cette époque, impossible d’acheter de vrais filets de hockey. On installait deux poubelles qui tenaient lieu de buts, mais ça engendrait d’interminables discussions sur la validité d’un but, car la rondelle se retrouvait toujours dans la neige derrière le gardien. On entendait alors des «Il n’est pas bon ce but-là!» et la chicane éclatait.Papa, qui était très inventif, décida alors de construire des buts en bois et il se servit de jute de poches de patates vides comme filet. Ce fut l’invention du siècle qui rendit tous les autres pères jaloux. Ce n’était pas très beau, mais c’était efficace, car le jute retenait la rondelle qui avait été «scorée».J’avais ces beaux souvenirs pour me consoler. Je me disais que si je pensais très très fort à mon papa et si je priais, il reviendrait pour Noël et, s’il n’était pas trop fatigué, il pourrait peut-être faire la patinoire. Je me suis mis à y croire.Mais au réveillon, nous n’étions que trois: ma mère, ma sœur et moi… Je me suis couché en maugréant contre le petit Jésus et convaincu que la magie de Noël n’existait pas, du moins pas pour moi.Le lendemain matin, j’entendis couler le robinet de la cuisine en me réveillant. Ma mère remplissait des chaudières d’eau et il y avait cinq pères de famille du voisinage qui se relayaient pour arroser notre patinoire. Ils étaient arrivés très tôt, malgré la fatigue de la veille, pour que nous ayons notre surface glacée.J’ai cru pendant longtemps que mes prières avaient été exaucées. Mon père, du haut du Ciel, avait tout organisé. La magie de Noël existait bel et bien.Illustration tirée de: GALERIE KLIMANTIRI – Marcel Ravary [ À lire aussi: Quand on jouait au hockey dans notre cour arrière jusqu’à la brunante ]

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