Livreur d’épicerie à vélo

Au début des années soixante, j’ai été livreur d’épicerie à vélo pour l’épicerie Larochelle, alors située sur la 14e Rue, entre la 3e et la 4e Avenue.L’épicerie Larochelle, petite entreprise familiale, assurait la livraison à domicile des «commandes» de ses clients. On téléphonait et on faisait livrer. Il y avait un livreur régulier (que l’on appelait commissionnaire) et un autre à temps partiel. J’étais l’employé à temps partiel, travaillant les vendredis soirs et les samedis, hivers comme étés.L’hiver, sur la glace et la neige, avec un vélo très lourd, ce n’était pas un boulot facile. Parfois, on empilait dans le grand panier situé à l’avant du bicycle une grosse caisse de bière et une boîte de carton contenant les effets commandés par le client. On mettait une main sur le panier rempli et l’autre sur le guidon en essayant de garder l’équilibre. Les chutes étaient fréquentes et douloureuses.La plupart des livraisons étaient aux alentours de l’épicerie. Dès l’ouverture du magasin, à 8 h, les clientes téléphonaient pour une pinte de lait et un pain pour le déjeuner. Parfois, un paquet de cigarettes… Et ça pressait ! Je me rappelle que certaines dames nous recevaient en tenue légère le matin, ce qui ajoutait un certain plaisir au pourboire que nous recevions la plupart du temps.Quelques clients habitaient loin de l’épicerie, sur la 22e Rue par exemple. C’était alors la grande aventure. On empruntait les ruelles, on s’arrêtait quelques minutes à la maison pour boire un coke et on revenait ayant l’air essoufflé. «Ça t’a bien pris du temps», disait alors la proprio, Madame Larochelle, qui n’était pas naïve. On prétextait alors que la chaîne de notre vélo avait déraillé…L’été, la chaleur accablante rendait notre travail pénible. À partir de midi, on ralentissait le rythme pour le reprendre plus tard. Madame Larochelle était une bonne patronne et elle nous permettait de boire deux liqueurs gratuites pour  nous rafraîchir. Quand on demandait «Qui veut aller chez Madame Martel ?»,  j’étais le premier à répondre oui, même si cette dame habitait un troisième étage et que sa commande d’épicerie était toujours très lourde. Qui disait Martel, disait Suzanne, la jolie blonde qui faisait chavirer mon cœur.  Je montais alors les escaliers au pas de course dans l’espoir que Suzanne soit là.Pendant les vacances d’été, c’était six jours de travail pour un salaire de vingt cinq piasses. Une vraie fortune.Le métier de « commissionnaire »  est depuis longtemps disparu, comme le sont ces sympathiques petites épiceries de quartier.

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