On jouait au ballon coup de pied, une sorte de soccer inventé
Durant mon secondaire à l’école Saint-Fidèle, située sur la 12e Rue, les Frères du Sacré-Cœur nous faisaient jouer, pendant les récréations, au ballon coup de pied.C’était une forme de soccer – de foot, si vous préférez -, bien que dans ce temps-là, peu de gens au Québec connaissaient ce sport qui venait d’ailleurs. Seul mon voisin venu de France savait ce qu’était le foot. Et il n’arrêtait pas de nous dire que c’était le plus beau sport au monde. Nous, on savait que c’était le hockey, bien entendu.Le ballon coup de pied était simple: deux buts et deux équipes de quinze écoliers qui essayaient de compter des buts. Deux poteaux en bois séparés d’une distance de douze pas servaient de filet. Rien à voir avec les vrais filets de soccer! En début de match, un joueur comptait les pas pour s’assurer que les buts avaient la même largeur. Et ça discutait fort:«Hé, t’as pas compté les pas comme il faut, maudit tricheur!», disait l’un.«T’as mal vu le cave, répondait l’autre. Mets tes barniques!»Pour clore la discussion qui risquait de gruger du temps de notre récré, c’était le frère qui vérifiait que les buts avaient les mêmes dimensions de chaque côté.On jouait dans la rue, devant l’école. Deux gars allaient porter un panneau de signalisation indiquant «Rue barrée» aux deux extrémités de la rue, l’un sur la 4e Avenue et l’autre, sur la 3e. La rue était interdite aux automobilistes. Et quand par malheur un livreur osait entrer dans notre terrain de jeu improvisé, on lui criait «Chou!» en chœur, seule insulte tolérée par les frères.Et le match commençait. Pas d’arbitre, pas de règles; on frappait le ballon à qui mieux mieux. On se poussait parfois, ça jouait dur, mais pas de carton jaune… ou rouge. Le frère titulaire de la classe se mêlait au jeu, toujours du côté de l’équipe la moins forte, par souci de justice, disait-il. Et là, ça faisait mal. Recevoir un ballon frappé par un adulte laissait des marques. Et les frères étaient, «genre», très compétitifs. Ils relevaient leur soutane et oups! ils devenaient des Zidane avant l’heure.Les récréations devaient durer une vingtaine de minutes, mais lorsque le match était serré, le frère nous laissait finir la partie. Nous avons déjà joué pendant plus d’une heure; notre prof, trop absorbé par le match, avait oublié de vérifier l’heure et de sonner la fin de la récréation.On retournait en classe fatigués mais heureux, en pensant qu’en après-midi, à la récré, il y aurait un autre match de ballon coup de pied.
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