Les ruelles ont longtemps représenté un territoire de jeu de prédilection pour des générations d’enfants de Limoilou.Bien avant les ruelles vertes, ces belles ruelles aménagées, il y avait ces «ruelles terrains de jeux», de tous les jeux. L’époque où on jouait dehors douze mois par année.Ces ruelles de gravelle, enclavées entre garages et hangars de tôle, surplombées de cordes à linge, étaient plutôt délabrées, mais c’était notre univers, et nous le trouvions beau.La ruelle, c’était le territoire de l’enfance. Les adultes surveillaient les enfants de loin, assis sur la galerie de leur cour arrière. Et à midi, comme dit la chanson, on entendait «Viens diner, là, ça va être froid !»; le cri des mères de famille qui rassemblaient leur marmaille souvent nombreuse.L’été : baseball, hockey-balle, jeu du drapeau, «ti-can la boîte», la cachette... L’hiver : hockey, construction de forts et batailles de balles de neige... Les ruelles appartenaient aux enfants en toute saison !C’était aussi le royaume des vélos qu’on appelait alors «bicycles». Dans les ruelles, on pouvait pédaler à toute vitesse, faire des acrobaties, des courses, sans danger. Il était rare que les automobilistes empruntent la ruelle, sauf pour remiser leur «gros char» dans le garage au retour du travail. Nous étions en sécurité.L'aiguiseur ambulant et le ramasseur de ferrailles, perchés sur des charrettes tirées par un cheval, passaient dans la ruelle quelques fois par été. Il y avait aussi le vendeur de fraises de l’Ile d’Orléans qui criait «Fraises, des fraises, des belles fraises !». Ma mère se dépêchait alors à me donner des paniers vides en me disant : «Choisis les plus belles, choisis-les comme il faut !»La ruelle, c’était la vie, l’enfance protégée, le paradis de nos jeux inventés et de nos premiers émois amoureux. C’est dans le vieux hangar de tôle rouillé bordant la ruelle que nous avons donné nos premiers baisers très chastes dans ce Québec pieux des années 1950. Premières amourettes que nous n’avons jamais oubliées.On n’avait qu’à crier «Qui veut jouer au base ?» pour qu’une dizaine d’amis du voisinage se pointent à la «plate» improvisée de notre ruelle. On faisait alors une partie de balle donnée qui durait des heures. On inventait des règlements que l’on changeait en pleine partie, on modifiait les équipes au gré du pointage. L’important, c’était simplement de jouer, le plus longtemps possible.Il y avait bien sûr des querelles d’enfants, des pleurs parfois et des genoux amochés. Ca finissait toujours bien, ou presque, lorsque nos parents, ou un voisin, jouaient les médiateurs entre nous. On faisait la paix et on reprenait nos jeux jusqu’à la prochaine chicane.C’était avant ces belles ruelles d’aujourd’hui. Époque révolue des ruelles sauvages, livrées aux plaisirs du jeu et investies par les enfants qui y jouaient quatre saisons par année...