Limoilou « aux mille visages » : le point sur la situation du logement dans le quartier

Collaboration spéciale : Véronique Laflamme, résidente du Vieux-Limoilou et organisatrice communautaire au FRAPRU
L’Approche territoriale intégrée (ATI) Limoilou et la CDEC de Québec ont publié jeudi dernier un portrait qualitatif des réalités vécues dans les quartiers Lairet, Maizerets et Vieux-Limoilou, intitulé « Limoilou, un territoire aux visages multiples ». La question du logement y occupant une place prépondérante, il semble opportun de faire le point, chiffres récents à l’appui.
Si le visage de Limoilou a changé ces dernières années, avec l’arrivée de nouveaux commerces, suivie de plusieurs agents immobiliers à l’affût des bonnes affaires, il demeure un quartier populaire, comme le confirment les récentes données de Statistiques Canada.
Des locataires à faibles revenus, des logements de plus en plus chers
Une très forte majorité, soit 80,6%, de la population de Limoilou est locataire. Le revenu médian de ces ménages du quartier (29 522 $) est plus bas que celui de ceux de la ville (34 099 $). Ces chiffres expliquent probablement que, selon le portrait produit par l’ATI Limoilou, « l’offre de logements abordables » soit identifiée comme un des principaux défis dans le secteur et que plusieurs des personnes ayant participé à la consultation aient nommé le besoin de davantage de logements sociaux.
Limoilou était, jusqu’à récemment, réputé pour ses logements abordables. Cependant, dans les toutes dernières années, les hausses de loyer ont commencé à s’accentuer, comme dans le reste de la ville. Entre le recensement de 2006 et l’Enquête nationale sur les ménages (ENM) menée par Statistique Canada en 2011, le loyer médian, à Québec, a augmenté de 15%. Et depuis 2011, les loyers n’ont pas cessé d’augmenter.On ne s’étonnera pas que, parmi les ménages locataires du quartier, 34,3% paient plus que la norme de 30% de leur revenu pour se loger. De ce nombre, 15,9% consacrent plus de la moitié de leurs revenus en loyer et 7,5% y consacrent 80%. Les jeunes et les personnes aînées sont parmi les plus touchés. Notons également que les femmes locataires limouloises sont plus pauvres que les hommes, et donc davantage à risque de se retrouver en difficulté. Le revenu annuel médian des femmes est de 26 649 $, contre 32 452 $ pour les hommes.
Dans ce contexte, on comprend que plusieurs des personnes ayant participé à la démarche de l’ATI déplorent l’insuffisance de logements sociaux, que ce soit des coopératives, des organismes sans but lucratif (OSBL) ou des HLM. On comprend également pourquoi le quart des familles locataires issues de l’immigration récente du quartier occupent un logement de taille insuffisante, toujours selon les données de Statistiques Canada.
« L’ensemble des participants s’entend pour affirmer qu’il faut la préserver et maintenir des services d’entraide qui favorisent cette mixité économique et sociale », peut-on lire dans Limoilou, territoire aux milles visages. Or, la composition actuelle du quartier est menacée par la difficulté de plus en plus grande de se loger à bas prix et par la transformation en condos des logements locatifs, y compris les précieux grands logements que des luttes menées il y a 20 ans ont contribué à préserver. Si, pour plusieurs, Limoilou est le nouveau quartier tendance de Québec, pour d’autres, c’est aussi un quartier dans lequel on a peur de ne plus pouvoir habiter.
Protéger le caractère populaire du quartier
L’importance des logements sociaux pour assurer le maintien et l’amélioration des conditions de vie des personnes à faible revenu de Limoilou est mise en exergue par le portrait publié par l’ATI. « Malgré le peu de revenus, les participants sont plus enclins à ne pas s’identifier comme pauvres et en situation d’isolement lorsqu’ils résident dans des coopératives d’habitation et des habitations à loyer modique (HLM). Le coût du loyer mensuel plus bas et un tissu social plus fort développé dans ce type d’habitation renforcent ostensiblement le développement du pouvoir d’agir, soit la capacité personnelle à se sortir d’une situation de pauvreté, des citoyens de Limoilou » y lit-on.
Cet effet bénéfique sur les conditions de vie des personnes à faible revenu est une raison amplement suffisante pour accentuer la pression sur le gouvernement du Québec afin qu’il augmente — plutôt que de couper de moitié, comme il l’a fait dans son dernier budget — le nombre de nouveaux logements financés par le programme AccèsLogis.Pire, les plus vieux logements sociaux, ceux financés par Ottawa avant 1994, sont également menacés par la fin des subventions que le fédéral leur verse depuis des décennies pour réduire le loyer des ménages à faible revenu qui y habitent. Les locataires concernés pourraient voir leurs loyers mensuels augmenter de 100 $, 200 $, voire 300 $ dans les prochaines années, si Ottawa continue de refuser de bouger dans ce dossier. Cela risquerait encore d’entraîner l’exode ou l’exclusion sociale de personnes qui font de Limoilou ce qu’il est.
Les gouvernements de Québec et d’Ottawa ont un rôle crucial à jouer dans l’offre de logements sociaux dans Limoilou. Mais la ville de Québec a aussi d’importantes responsabilités qu’elle ne prend pas. Non seulement elle doit renforcer son règlement sur la transformation des logements locatifs en condos, mais la municipalité doit tenir compte de la composition actuelle du quartier afin de s’assurer que la population d’origine ne soit pas chassée par ses efforts de développement. À l’instar du Plateau Mont-Royal, par exemple, elle devrait se doter d’une politique d’inclusion de logements sociaux. Elle devrait également se doter d’une réserve de terrains dédiés au développement de projets futurs de logements sociaux, afin d’éviter que les rares terrains vacants ne servent à construire encore plus des condos et des logements hors de prix.