Projet Beauport 2020 du Port de Québec : des élus municipaux résignés ?
Lettre ouverte de Jean Lacoursière, d’Accès Saint-Laurent Beauport, 23 novembre 2015
Le niveau de rigueur du comité plénier de la Ville de Québec du 17 novembre 2015 sur le projet portuaire Beauport 2020 devint prévisible lorsque l’élue municipale responsable de l’aménagement du territoire entra dans la salle du conseil et fit la bise au pdg du Port de Québec.
Sous les regards admiratifs, le pdg présenta d’entrée de jeu son projet d’agrandissement qui, une fois complété, financerait la réfection des quais décrépits du port en permettant une augmentation du transbordement de vracs. Essentiellement, il propose de remblayer le fleuve pour renflouer le Port. Les questions du comité ne laissa aucune ambiguité sur les rôles respectifs dans cette relation dominant-dominée dont le littoral de Québec est le théâtre. Comment nos élus peuvent-ils trouver « bon » un projet d’enterrement du fleuve sur une aire de 26 terrains de football dans une ville patrimoniale, à côté d’un site récréotouristique aménagé pour son 400e anniversaire ?Jadis, nos élus remettaient courageusement en question les visées expansionnistes du Port à Beauport. Dans un mémoire de juillet 1982, le parti Rassemblement populaire disait : « Remplir le fleuve Saint-Laurent, au centre de Québec, pour agrandir des installations portuaires, c’est une idée géniale… pourvu qu’elle soit mise de l’avant par le parti Rhinocéros. » Dans un mémoire de décembre 2000, le maire de Beauport Jacques Langlois critiquait l’insertion du projet d’expansion dans le Plan d’utilisation des sols du Port : « Le site de la plage de Beauport doit être maintenu dans son périmètre actuel afin de conserver un environnement visuel compatible avec les activités de la berge et ainsi favoriser la continuité des efforts amorcés pour la mise en valeur de ce milieu exceptionnel. »Simultanément, le député fédéral Michel Guimond écrivait au Port : « Depuis le 17e siècle, les citoyens de Beauport ont pu jouir du spectacle visuel renouvelé, selon les saisons, que leur offre le majestueux Saint-Laurent. […] Votre projet d’agrandissement viendrait détruire à tout jamais le paysage fluvial qui s’offre à la vue des citoyens de Beauport. » Ces citations témoignent d’une vision du littoral axée sur l’accès public aux berges, l’utilisation récréative du fleuve, la qualité de vie et la beauté du paysage.L’opposition à l’expansion portuaire diminua ensuite graduellement. L’ex-pdg du Port Ross Gaudreault y contribua avec une propagande basée sur le soi-disant rôle de moteur économique du port pour la région métropolitaine et sur l’image positive des paquebots de croisiéristes toujours plus nombreux à accoster à Québec. En 2005, une fille cheveux au vent, devant un paquebot, apparut sur les bus du RTC avec ce message : « Le Port de Québec, chacun peut s’en vanter. » Tout allait bien au port. Le tonnage transbordé augmentait d’année en année, suscitant chaque fois un rappel du pdg que l’expansion beauportoise était nécessaire, surtout à la suite du legs pour 30 ans de la (demi) plage de Beauport lors du 400e, comme si ce « cadeau » fédéral à la population faisait partie d’un marchandage.En 2011, le nouveau pdg Mario Girard adopta un ton plus doux et un discours misérabiliste : les choses n’allaient pas bien au port de Québec, ses infrastructures vieillissantes nécessitant des réparations coûtant 150 M$ (le Port dit aujourd’hui 310 M$). La solution ? S’agrandir à Beauport pour augmenter ses revenus et, quelle chance, « sauver » la plage d’une érosion qui ne serait pourtant que ralentie. La propagande économique se poursuivit, doublée de l’affirmation que « le Port améliorait la qualité de vie des résidents de Québec » parce qu’il offrait des « fenêtres sur le fleuve ». Le corollaire est que l’absence de transbordement de vracs à Québec améliorerait encore plus la qualité de vie en agrandissant lesdites « fenêtres ».
Est versus ouest
La complaisance du comité plénier trouve probablement sa racine dans la fusion des anciennes villes en 2002. La population de Beauport vit ses représentants se dissoudre dans une ligne de parti devenue d’autant plus forte que le maire actuel obtient des majorités écrasantes aux élections et que les élus de l’opposition viennent de l’ouest de la ville et de son centre historique. Leur nonchalance envers la violence urbanistique de Beauport 2020 donne l’impression que l’est de la ville est devenu l’endroit légitime pour les projets industrialo-portuaires.Le contraste avec l’ouest est frappant. Rappelons-nous la tempête suscitée par l’apparition des silos de granules de bois à l’Anse-au-Foulon en 2013, une infrastructure jurant dans le paysage, mais gardant sous couvert du vrac moins dangereux que plusieurs matières stockées à Beauport. L’urbaniste Serge Viau estima que « les activités portuaires pouvant générer bruit et poussière et nécessitant des équipements lourds devraient être concentrées à la baie de Beauport, une opinion partagée par le directeur général du Conseil régional de l’environnement de la capitale nationale, Alexandre Turgeon » (Le Soleil, 2013/11/08).Le chef de l’opposition municipale Paul Shoiry s’indigna d’une telle « destruction du paysage » et exigea « un arrêt immédiat des travaux […] pour explorer d’autres lieux pour implanter des silos ». Le maire Labeaume y alla quant à lui d’un vibrant plaidoyer : « La tendance en urbanisme en Occident depuis des années, c’est de libérer le bord de l’eau […], parce qu’un bord de l’eau libéré, ça décuple l’attraction d’une ville. […] Je voudrais juste préciser que quand même, on parle d’entrepôt. On ne parle pas de laboratoires, d’innovations technologiques, on parle de deux entrepôts. […] Je voudrais juste qu’on ne se trompe pas sur la valeur du projet. »Cette faible valeur économique serait donc suffisante pour défigurer et polluer l’est de sa ville. Cela est triste, car les quartiers bordant la baie de Beauport profiteraient certainement des retombées positives d’un fleuve beau, plus facilement accessible, comme à l’ouest où les promenades s’additionnent depuis 2008 à coups de centaines de millions d’argent public.[ À lire aussi : Une nouvelle donne pour le Comité de vigilance des activités portuaires et Une plage nickel. ]
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