« En veillant sur le perron, par les beaux soirs d’été… »
Comme dans la chanson, par les beaux soirs d’été, on veillait sur la galerie. Dans le portique de la maison, il y avait des chaises pliantes. Les soirs de beau temps, on les sortait sur notre galerie. Tous les voisins faisaient de même : se bercer sur le balcon était un mode de vie.
Le balcon (tous disaient « galerie ») était le poste privilégié d’observateur de l’animation urbaine et partie prenante de la façon d’habiter Limoilou(1).On saluait à notre gauche les Paré, à notre droite, madame Lévesque qui n’avait aucun lien de parenté avec nous. On leur disait : « Fais-tu beau rien qu’un peu ! » Ils répondaient : « Si ça peut continuer, on va avoir un ben bel été… » C’était un rituel. Ne pas échanger quelques mots aurait été une insulte à cette époque où les voisins étaient presque de la famille.Et le film de la vie ordinaire commençait vers sept heures.J’apportais un livre pour la forme, mais je ne lisais pas beaucoup, toujours porté à regarder le spectacle de la 4e Avenue.Il y avait l’autobus numéro 5, celui qui allait à la place d’Youville. Ça me faisait rêver, surtout le samedi soir. C’est bête mais c’est comme ça. J’imaginais ces gens dans le bus qui allaient se promener sur la rue Saint-Jean et ceux qui allaient au Palais Montcalm ou au cinéma Le Capitole. Les chanceux. Je les enviais. J’avais douze ans et mon univers, c’était entre la 14e et la 15e Rue.Il y avait ceux qui passaient devant chez nous pour aller chez Madame Guay pour acheter un cornet à deux boules ou des chips et un Coke. La tabagie Guay était si près de chez nous qu’on pouvait y voir le va-et-vient.Il y avait monsieur et madame Letarte, toujours bien mis. Ils allaient prendre une marche jusqu’à la 18e Rue et ils revenaient lentement, s’arrêtant quelquefois devant une maison voisine.Il y avait parfois des frères de l’école Saint Fidèle qui se baladaient. Je les saluais respectueusement car, on ne sait jamais, l’un deux aurait pu être mon prof l’année suivante.Il y avait Ti-Gilles qui revenait de sa pratique de baseball au parc. Il portait un uniforme complet de joueur que je lui enviais tellement. Il s’arrêtait, on s’assoyait dans les marches d’escalier et on piquait une jasette.Passaient aussi devant chez nous ma voisine et son amie Jojo qui habitait à Saint-Albert. Ti-Gilles et moi arrêtions net de placoter juste pour avoir le plaisir de leur dire bonsoir. Nos cœurs battaient la chamade, lui pour Jojo la brunette et moi pour ma blonde voisine. Nous imaginions qu’un jour on prendrait l’autobus numéro 5 pour les emmener marcher sur la rue Saint-Jean…Quand la noirceur tombait, on rentrait les chaises dans le portique. C’était la fin du film au cinéma de la vie ordinaire. Demain et les jours suivants, il y aurait une autre représentation gratuite.
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(1) Limoilou, un siècle d’histoire (Cap-aux-Diamants, hors-série 1996)
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