Le processus de consultation du projet Beauport 2020 est complété. L’Agence canadienne d’évaluation environnementale en est à faire le point – sur les documents fournis par l’Administration portuaire de Québec, sur les mémoires et témoignages recueillis. Justement, qu’en est-il de ces mémoires ? Monlimoilou a survolé 14 d’entre eux. Troisième – et dernier – sujet : les retombées économiques du projet.
Beauport 2020, les mémoires (3) : quelles retombées économiques ?
Le processus de consultation du projet Beauport 2020 est complété. L’Agence canadienne d’évaluation environnementale en est à faire le point – sur les documents fournis par l’Administration portuaire de Québec, sur les mémoires et témoignages recueillis. Justement, qu’en est-il de ces mémoires ? Monlimoilou a survolé 14 d’entre eux. Troisième – et dernier – sujet : les retombées économiques du projet.
Les Chambres de commerce et d’industrie de Québec et de Lévis sont claires dans leurs mémoires : le projet est essentiel sur le plan économique.
Les plus grandes villes du monde ont toutes un dénominateur commun, elles sont caractérisées par la présence d’un port, ce sont des villes portuaires. Elles se sont développées autour de ces ports qui constituent une porte d’entrée pour les marchandises provenant des contrées internationales et des voies essentielles pour les exportations des produits de toutes sortes vers les marchés extérieurs. La ville de Québec n’échappe pas à cette réalité. »
Au Conseil du patronat du Québec, on parle ainsi d’un « pilier de l’économie québécoise, essentiel à la qualité de vie des citoyens et aux échanges commerciaux qui assurent notre prospérité ».Même son de cloche à la Fédération des chambres de commerce du Québec(FCCQ), « qui appuie le projet d’investissement du Port de Québec en raison des retombées économiques qu’il va générer par lui-même et dans l’ensemble du transport maritime québécois ».On rappelle ainsi, tour à tour, les données recueillies par KPMG sur les retombées économiques liées aux installations portuaires : 1000 navires par années provenant de plus de 60 pays ; 27 millions de tonnes de marchandise manutentionnées au fil des cinq dernières années ; 7964 emplois directs et indirects avec un salaire moyen de 61 500 $ par an ; et des impacts économiques directs et indirects de 730 M$ par année, pour le Québec et le Canada.Percevant en outre le potentiel pour le transport maritime, les Chambres de commerce de Lévis et Québec estiment que l’agrandissement est un « passage obligé pour faire face aux défis de la compétition féroce » dans le domaine.
Création d’emplois
Au Conseil du patronat, on rappelle que le projet Beauport 2020 devrait créer 1200 emplois par année dans sa phase de construction, ainsi que 1100 emplois supplémentaires pour la phase d’opération. Cela pourrait ainsi représenter 100 M$ en retombées économiques pour les 20 prochaines années.
Ce projet permettra de créer d’importantes retombées économiques supplémentaires, d’attirer des investissements privés majeurs par des acteurs qui voudront bénéficier des capacités accrues des installations, et contribuera à améliorer la compétitivité de ce pôle logistique d’importance face à l’évolution des pôles concurrents à l’échelle continentale », note l’organisation.Le Port de Québec bénéficie d’avantages stratégiques sur les grandes routes navigables du monde. Il a besoin d’une certaine expansion. S’il tarde à s’adapter aux exigences sans cesse plus élevées des transporteurs, ces derniers pourraient se tourner vers des ports concurrents situés sur la côte est américaine. Ce n’est pas seulement la région de Québec qui perdra une opportunité économique, c’est toute la chaîne logistique du transport maritime du Québec qui s’en trouvera affaiblie », explique-t-on du côté de la FCCQ.
À ce chapitre, on souligne que plus de 80 % du commerce mondial est assuré, actuellement, par transport maritime, et que 45 % des biens et services produits au Québec sont destinés aux marchés étrangers.La FFCQ ajoute également que l’environnement hautement concurrentiel conduit en ce moment au développement des zones portuaires sur la scène internationale, qu’il s’agisse de la hausse de la taille des bateaux, de l’importance accordée à l’entretien des infrastructures ou des efforts pour conserver et accroître les parts de marché.
Il s’agit d’un projet structurant pour la prospérité du Québec », assure le Conseil du patronat.
Doutes sur l’impact économique
Des doutes sur le potentiel économique du projet sont toutefois soulevés dans certains mémoires.Ainsi, du côté de Québec solidaire Capitale Nationale : « Il semble que le Port de Québec n’est [sic] pas en mesure de fournir d’informations sur l’identité des utilisateurs du nouveau quai et surtout des produits et matières qui y seront transbordés. S’agirait-il d’un autre projet sans garanties que ce soit, qui nous réserve de mauvaises surprises tant au plan économique qu’environnemental ? »Une interrogation partagée par Réseau Environnement :
Même si nous sommes conscients qu’il est impossible de connaître les futurs clients du port, nous sommes toutefois d’avis que l’étude d’impact environnemental présentée est incomplète puisqu’elle ne permet pas de saisir adéquatement l’ampleur de l’activité maritime future que cela va générer en plus et de ses effets sur l’environnement. »
Chez Nature Québec, on ne peut pas davantage « passer sous silence de sérieux doutes quant aux retombées économiques évoquées par le Port, de même qu’à la nécessité du projet dans le contexte actuel ».Or le Groupe d’initiatives appliquées au milieu (GIRAM) estime que cette question devrait être analysée et détaillée plus avant, « car elle représente le socle sur lequel s’appuie la demande d’agrandissement du Port de Québec ».
Il est indéniable que le promoteur désire agrandir son espace et augmenter ses activités et qu’il est convaincu d’avoir le potentiel pour y arriver. Cependant, un désir, si grand soit-il, n’équivaut pas à un besoin. À ce jour, aucune démonstration objective, concrète, chiffrée et vérifiable du besoin d’agrandir n’a été présentée par le promoteur, et ce, malgré les demandes répétées de différentes parties prenantes », souligne l’Initiative citoyenne Vigilance Port de Québec.
Nature Québec va jusqu’à qualifier « d’étrange » le fait que le Port « affirme que quatre à cinq institutions financières sont intéressées à financer le projet d’expansion, sans aucune confirmation quant à la clientèle des nouvelles installations et au type de produit transporté ».Du même souffle, l’organisme soulève moult interrogations sur les arguments liés à la croissance économique :
Nature Québec estime que plusieurs de ces arguments ne résistent pas à l’épreuve des faits et qu’ils devraient au minimum faire l’objet d’une contre-analyse indépendante avant qu’on investisse de l’argent public dans le projet. »
Des scénarios optimistes ?
Plusieurs organismes interrogent ainsi les scénarios proposés par l’Administration portuaire.Est-ce que le scénario de la « croissance économique » proposé par le Port est trop optimiste ? Peut-on réellement parier sur une hausse durable du prix des matières premières ? Si le contexte économique espéré n’est pas au rendez-vous, n’y a-t-il pas risque d’un choc brutal, en regard de la compétition des autres installations portuaires de la côte atlantique ? Les profits engendrés par une croissance du tonnage de 80,5 % au Port de Québec entre 2002 et 2012 n’auraient-ils pas suffi à permettre l’entretien et la réfection des actifs du Port ?Et surtout, exagère-t-on les retombées économiques du Port de Québec pour sa région ?
Selon un économiste senior consulté par Nature Québec, l’Administration portuaire de Québec (APQ), afin d’estimer les retombées économiques du projet Beauport 2020 au niveau canadien, a appliqué des multiplicateurs provenant de l’Institut de la statistique du Québec et fournis par KPGM à la fourchette haute des scénarios d’investissement public et privé sur l’ensemble de la réalisation du projet. »
De son côté, Accès Saint-Laurent Beauport (ASLB) voit même un risque lié à l’agrandissement pour les autres ports régionaux répartis sur le territoire en abord du Saint-Laurent :
À une échelle plus grande, il est probable que le projet Beauport 2020 puisse entraver le développement des autres ports régionaux du Saint-Laurent, malgré les souhaits de développement intégré et complémentaire des ports de la récente Stratégie maritime du Québec. »
Quant à la réfection du Port, l’Initiative citoyenne s’interroge sur la qualité de la gestion effectuée par l’APQ au fil des 40 dernières années. Considérant que le promoteur affirme être confronté à un enjeu de vieillissement de ses infrastructures, on indique :
[I]l avoue candidement qu’il a fait preuve, durant les 40 dernières années, d’une gestion si déficiente qu’il n’a jamais prévu que ses installations devraient être remplacées lorsqu’elles atteindraient leur fin de vie utile, pas plus qu’il n’a pris en compte l’évolution des exigences environnementales ou l’avancement des techniques de transbordement. C’est une situation déplorable, mais dont il est le seul responsable. »
Un projet qui aurait pu être placé ailleurs ?
Bien que le site de la Baie de Beauport et des environs semble, aujourd’hui, évident pour accueillir le projet du Port, plusieurs déplorent que d’autres lieux n’aient pas fait l’objet d’une analyse sérieuse.
Les contraintes appliquées à l’évaluation de nouveaux sites semblent à notre avis trop contraignantes pour évaluer adéquatement les sites alternatifs. De plus, les sites analysés prennent uniquement en considération ceux appartenant au Port de Québec », lit-on dans le mémoire du Conseil régional de l’environnement (CRÉ) Capitale-Nationale.
Le CRÉ suggère ainsi d’ouvrir l’évaluation à d’autres sites que celui préconisé, tels les secteurs de l’estuaire, de l’Anse-au-Foulon, ou encore de la Pointe de la Martinière, à Lévis.
Alors que l’agrandissement des capacités portuaires pourrait se réaliser à beaucoup d’autres endroits sur le Saint-Laurent, le développement récréotouristique est tributaire du site exceptionnel de la Baie de Beauport », dira Accès Saint-Laurent Beauport.
Ou même, si on élargit le questionnement, aurait-on pu envisager d’autres façons que le simple agrandissement pour permettre au Port de poursuivre sa croissance ?
Augmenter ses activités, pour une entreprise, n’est que rarement synonyme d’agrandissement physique de ses installations. Au contraire, de nombreux autres moyens sont souvent privilégiés, notamment l’acquisition, la fusion, le regroupement ou le partenariat, ceux-ci offrant un meilleur potentiel de rendement de l’investissement. La logique visant à considérer la restriction des espaces comme principale limite aux possibilités d’accroissement et pointant ainsi vers un agrandissement du secteur Beauport comme seule option de développement est, à notre avis déficiente et limitative », écrit l’Initiative citoyenne Vigilance Port de Québec.Plutôt que de travailler en collaboration avec les autres ports du Saint-Laurent qui disposent de terrains disponibles et de partager le marché en fonction du tirant d’eau requis par les navires, le promoteur tente de s’approprier seul de ce marché », note enfin ASLB.
Pour lire le précédent billet : Beauport 2020 : des inquiétudes, du transport à l’impact environnemental
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