Repenser les médias et l’information

L’auteur et journaliste de Limoilou Mickaël Bergeron se penche sur l’univers de l'information dans Tombée médiatique, son nouvel essai publié aux Éditions Somme toute. Pour celui qui nous avait donné La Vie en gros, le modèle de financement des médias doit notamment être repensé.

Repenser les médias et l’information | 4 novembre 2020 | Article par Julie Rheaume

L'auteur et journaliste Mickaël Bergeron photographié dans Limoilou le 2 novembre 2020.

Crédit photo: Julie Rheaume

L’auteur et journaliste de Limoilou Mickaël Bergeron se penche sur l’univers de l’information dans Tombée médiatique, son nouvel essai publié aux Éditions Somme toute. Pour celui qui nous avait donné La Vie en gros, le modèle de financement des médias doit notamment être repensé.

Alors que La Vie en gros, œuvre parue en 2019, se penchait sur la question de la grossophobie, l’essai Tombée médiatique de Mickaël Bergeron dresse le portrait de la situation actuelle des médias. Ce dernier a entre autres été déjà à l’emploi de Radio-Canada, de CKIA-FM et du Soleil.

L’auteur y fait trois constats : le modèle de financement doit être repensé, les médias ont à assumer leur responsabilité sociale et les salles de nouvelles doivent reconnaître l’importance de la diversité.

Pour le journaliste, quel est le plus important constat fait dans son livre? «Derrière le manque de diversité, l’infospectacle, plusieurs problèmes, on revient beaucoup au modèle d’affaires. Le modèle d’affaires pousse vers l’infospectacle. Il ne nous permet pas d’avoir une diversité car la priorité, c’est de faire de l’argent. Ils (les médias) n’ont pas le temps d’être représentatifs de la population. Je trouve que le modèle d’affaires, actuellement, nuit sur beaucoup d’aspects », soutient Mickaël Bergeron, que l’auteure de ces lignes a notamment côtoyé alors qu’il était à l’emploi de la radio CKIA-FM. « Ça crée des priorités qui sont différentes », ajoute-t-il.

Le modèle d’affaires traditionnel des médias reposait notamment sur les abonnements et les ventes de publicités. Dans son essai, l’auteur fait était de l’importante chute des revenus publicitaires depuis le début des années 2000. Les annonceurs ont pourtant augmenté leurs dépenses publicitaires ces dernières années, remarque-t-il, mais les médias traditionnels ne récoltent désormais que des miettes au profit des Google et Facebook de ce monde.

Un bien public

Alors que fermetures et compressions battent leur plein au sein de divers organes de presse, comment réinventer ce modèle d’affaires? « Il faut aller vers le modèle OBNL au sens large (…),  mais aussi le modèle coopératif comme Le Soleil ou le modèle communautaire, qui existe déjà aussi. Je pense à un virage public… Que les médias, l’information, appartiennent à des organismes publics sans but lucratif. La dérive qu’on voit en ce moment, quand ça appartient à des gros joueurs, comme Québecor, Bell ou Fox News, ça reste carrément une industrie. (…) Ce sont les patrons qui, eux, sont tournés vers le fait de faire de l’argent et d’intégrer l’information à une machine. Ça nuit évidemment », affirme-t-il.

Un modèle public ferait en sorte que l’information ne serait plus « un jouet commercial », selon Mickaël Bergeron.

Toutefois, les médias communautaires ou de type coopérative, entre autres, doivent encore vendre de la publicité pour assurer leur fonctionnement, ce qui donne matière à réflexion, dit Mickaël Bergeron. La solution passe donc par un financement public. « Il faut se permettre d’avoir une information de qualité », dit-il.

Par contre, un financement de l’État pourrait-il nuire à l’indépendance journalistique et à la liberté de presse? Pourrait-on assister à une forme d’ingérence politique dans le contenu journalistique? « C’est une des craintes qu’il y a, mais je pense qu’on peut mettre en place des structures qui font que ce soit apolitique. » Il suggère que des entités soient créées pour gérer de telles éventuelles enveloppes budgétaires et que l’argent qui serait versé aux médias ne proviennent pas directement des ministères.

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D’ailleurs, les actuels crédit d’impôt qui sont mis en place pour les médias ne permettent pas de miner cette crédibilité ou cette indépendance, précise l’auteur.

S’éduquer

Sur les réseaux sociaux, il n’est pas rare de voir une confusion des genres et voir les usagers se questionner sur la véracité de nouvelles publiées par de grands médias. Certains citoyens ne semblent pas faire la part des choses entre nouvelles journalistiques fouillées et publications virales aux origines douteuses. Comment s’y retrouver? Comment redonner une crédibilité aux médias de masse?

« Cette quête de revenus a fait que depuis plusieurs années, les médias ont fait de plus en plus de place à l’infospectacle. Cela a diminué leur crédibilité ou encouragé la confusion des genres », répond-il. À titre d’exemple, article de nouvelles et texte d’opinions sont parfois présentés de la même façon dans un journal, explique-t-il. Un œil non initié aura peut-être de la difficulté à les différencier. « Je comprends que le public soit mêlé », soutient l’auteur.

Les médias ont donc une part de responsabilité, selon Mickaël Bergeron. « Internet a permis à tout le monde de s’exprimer. Cela a joué aussi, mais ce serait facile de pointer juste ça. Ce serait important que les médias fassent également leur examen de conscience », dit-il.

À son avis, les médias doivent être plus transparents. Le fonctionnement d’une salle de nouvelles reste mystérieux. « Tout ce qu’on voit, c’est dans les films », lance-t-il… Mais dans la vraie vie, les médias ne fonctionnent pas comme au cinéma!

Pour Mickaël Bergeron, la transparence passe notamment par l’explication de la démarche des journalistes et pourquoi les médias ont choisi un angle plutôt qu’un autre. L’éducation aux médias est également importante pour l’auteur.

Quels gestes doivent faire les citoyens pour s’assurer d’être bien informés? Lire plus qu’un média et sortir des réseaux sociaux, selon lui. « (Ces derniers) sont d’excellents relayeurs mais (il faut) aller directement sur les sites des médias. Il y a des sujets qui sont super intéressants et importants, mais l’algorithme (du réseau social) ne les met pas de l’avant », répond Mickaël Bergeron.

Quartiers centraux

Que pense Mickaël de la couverture des quartiers centraux par les grands joueurs de l’industrie? « Une chance qu’il y a des médias comme Monlimoilou, Monsaintsauveur et compagnie. Je ne dirais pas que les grands médias ne s’y intéressent pas en soi. C’est sûr que les faits divers, on en parle tout le temps. Quand il y a des enjeux d’urbanisme, ils vont quand même en parler. C’est sûr que lorsqu’il y a des enjeux qui touchent le citoyen directement tels les services publics, je pense (que l’information est moins bien couverte) », répond-il.

Il comprend toutefois que les médias ne peuvent s’intéresser à tous les enjeux qui touchent les services publics dans tous les quartiers, faute de temps ou de ressources. « Ça ne finirait pas », lance-t-il.

« Ça prend toutefois une autre place pour en parler et c’est pour cela qu’il doit y avoir une diversité médiatique (…). Ce n’est pas vrai qu’un média peut tout couvrir. C’est tout à fait normal. Il y a des médias nationaux, des médias régionaux, des médias hyper locaux. C’est important qu’il y ait une diversité dans le mandat de ces médias et une diversité dans la façon d’aborder les nouvelles », enchaîne-t-il.

Brûler les troupes

Mickaël a travaillé 18 ans dans les médias. Dans son essai, le lecteur peut parfois déceler ce qui semble être une certaine amertume. « Non. Il n’y a pas d’amertume. Dans toute carrière, il y a eu des déceptions. Des fois, il y a eu des découragements. Je considère que j’ai eu une belle carrière dans son ensemble. Je suis content et j’ai fait de super belles affaires. J’ai vécu de belles affaires », répond-il. Parfois, les déceptions sont personnelles, mais parfois celles-ci sont motivées par l’industrie.

« Quand je vois l’industrie qui brûle autant de journalistes, ça me fend le cœur. J’ai eu un burn-out (en 2018), mais je ne suis pas une exception. Le nombre de burn-out qu’il y a dans le milieu, c’est beaucoup trop grand et c’est pas normal. Je trouve ça indignant. Ça m’indigne qu’on laisse ça aller, qu’on se permette de brûler autant de nos gens. Je comprends que la vocation prenne beaucoup de place, mais au nom de cette vocation (ou) de devoir survivre en tant que média, on brûle des gens. »

À la suite de son burn-out, Mickaël a pris une pause de cet univers pendant six mois. Il occupé un emploi dans un autre domaine mais la piqûre lui est revenue. « J’aime énormément ça, faire de l’information », lance-t-il. Il a donc été embauché au Soleil. Même s’il n’a que de bons mots pour ce média et ses ex-collègues, après 11 mois à l’emploi du journal, il en avait marre de « l’instabilité » d’un poste de surnuméraire. Il constatait aussi que des amis d’autres grands médias étaient surnuméraires depuis des années.

Âgé dans la fin trentaine, il ne se voyait pas occuper un poste précaire pendant de longues années. Il avait besoin de plus de stabilité. « Depuis janvier, j’essaie autre chose mais j’ai encore besoin d’informer. Je ne veux juste plus le faire à tout prix. »

Projets

Les derniers mois ont été fort occupés pour Mickaël en lien avec la production de Tombée médiatique et la promotion de La Vie en gros. De plus, il planche actuellement sur des projets en lien avec des balados et des documentaires. Il songe également à un éventuel nouveau bouquin.

Mickaël Bergeron se voit encore comme un journaliste, sauf que ces temps-ci, l’auteur est davantage mis de l’avant.

Tombée médiatique – se réapproprier l’information, Mickaël Bergeron, Éditions Somme Toute, 232 pages, 24,95$.

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