Ma mère, l’institutrice

Auteur de D’Irlande, de Limoilou et d’ailleurs, Denys Hawey partage pour nos lecteurs et lectrices ses souvenirs de jeunesse. Il nous raconte aujourd'hui sa première année d'école... à domicile!

Ma mère, l’institutrice | 26 septembre 2021 | Article par Monlimoilou

Richard montre fièrement sa « boucle d’honneur », et Denys apprend à écrire dans la cuisine.

Crédit photo: Denys Hawey - Archives familiales

Auteur de D’Irlande, de Limoilou et d’ailleurs, Denys Hawey partage pour nos lecteurs et lectrices ses souvenirs de jeunesse. Il nous raconte aujourd’hui sa première année d’école… à domicile!

Ma mère ne s’était pas résignée au fait que, très probablement, mon jumeau et moi ne pourrions commencer l’école à nos six ans, pour quelques jours de retard. Alors, elle avait entrepris, dès nos cinq ans, de nous faire l’école.

Denise s’était informée de ce que contenait le programme scolaire pour la première année du niveau élémentaire. Elle avait réussi à obtenir une copie du programme officiel et de tous les sujets, dans toutes les matières, que les jumeaux devraient maîtriser au terme de leur apprentissage à la maison avec leur institutrice privée, Madame Jean-Pierre Hawey. C’était la dénomination courante, à l’époque, pour désigner la femme mariée. Elle portait les prénoms et le nom du mari.

Ensuite, la nouvelle institutrice improvisée s’était arrangée pour obtenir, de ses sœurs et amis qui avaient des enfants plus âgés, les différents volumes – en double, s’il vous plaît! –, requis pour le programme scolaire. Finalement, pour les cahiers d’exercice et autres accessoires dont un boulier compteur, elle avait dû investir un bon montant pour les obtenir neufs à la procure des Frères des Écoles chrétiennes, sur la 3e Avenue.

« Comme si on y allait vraiment »

Conformément au calendrier scolaire officiel, les jumeaux étaient prêts pour commencer l’école. Nous avions chacun un beau sac à dos qui contenait tous nos livres et tous les accessoires : les étuis à crayons, avec tous les crayons HB de plusieurs degrés, puis les ensembles de crayons à colorier, etc.

Je me souviens que Richard était très excité à l’idée de jouer à l’école. Il avait insisté pour que tous les deux, nous nous habillions comme si on allait vraiment à l’école, que nous sortions de la maison avec notre sac sur le dos, et que nous fassions le tour du bloc comme si on partait de la maison pour s’y rendre.

En chemin, nous croisions, en sens inverse, des enfants plus âgés qui se rendaient, eux, à la vraie école. Il leur arrivait de se moquer et de nous taquiner en disant que nous nous étions trompés de chemin.

Puis nous entrions à la maison… ou plutôt à l’école où nous attendait notre institutrice, Madame Hawey.

La simulation était complète. En entrant, nous devions saluer l’institutrice d’un beau « Bonjour Madame! » bien sonné. Après avoir pris notre place, nous faisions la prière. Je présume que l’institutrice n’allait pas jusqu’à prendre les présences!

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Alors, nous commencions les leçons, comme à la vraie école. Nous avions des leçons de français, de grammaire, de lecture, d’écriture, de religion avec le catéchisme, etc. Les pauses réglementaires, les récréations, étaient aussi observées.

Pas question de s’évader dans nos pensées ou de ne pas suivre les leçons avec attention! L’institutrice était très sévère et elle ne tolérait aucun écart de conduite.

Il arrivait cependant quelques fois où, le naturel revenant au galop, l’institutrice manifestait quelques sautes d’humeurs, notamment lorsqu’un des écoliers tardait à comprendre une explication.

« Il s’était ramassé dans le mur »

Je me souviens d’une journée au cours de laquelle je n’arrivais pas à saisir les subtilités du fonctionnement du boulier compteur. La rapidité à comprendre de mon jumeau me faisait paraître encore plus médiocre. J’avais l’impression d’être un enfant aux capacités mentales réduites. C’était peut-être le cas! Mais, avouons que je perdais mes quelques capacités au rythme auquel je sentais la pression monter chez l’institutrice.

Quand je sentais le ton de sa voix s’élever significativement et qu’elle devenait de plus en plus brusque dans ses démonstrations manuelles, il y avait blocage de mes quelques neurones encore actifs. Et lorsque l’institutrice sortait la langue, qui gonflait entre ses mâchoires crispées, mon cerveau était foudroyé : c’était la paralysie totale!

Heureusement, cette fois-là, il y avait le boulier compteur entre moi et mon institutrice en transes. C’était donc lui qui avait écopé à ma place. Il s’était ramassé dans le mur. L’institutrice était sortie de la pièce en catastrophe et j’avais pu, sans faire un bruit, aller à la rescousse de mon instrument.

J’avais passé le reste de mon année scolaire à faire des exercices de calcul avec le même boulier compteur, sans jamais manifester d’impatience lorsque les boules peinaient à glisser sur les tiges métalliques tordues.

C’était ainsi que notre première année scolaire s’était écoulée dans notre nouvelle maison de Sainte-Odile. Nous étions bien contents de voir le mois de juin arriver. L’automne suivant, Richard et moi étions aussi très contents d’avoir une nouvelle école… et une nouvelle institutrice!

Legs pour ses deux enfants et leurs propres enfants, D’Irlande, de Limoilou et d’ailleurs a fait l’objet d’un article sur Monlimoilou. L’histoire de famille et la vie de jeunesse de Denys Hawey, qu’il raconte en 426 pages enrichies de photos, est disponible exclusivement à la Librairie Morency.

Lire l’épisode précédent des souvenirs de Denys Hawey : Les Castors de Québec.

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