Auteur de D’Irlande, de Limoilou et d’ailleurs, Denys Hawey partage pour nos lecteurs et lectrices ses souvenirs de jeunesse. Retour sur une tradition religieuse bien ancrée chez les Hawey : le chapelet en famille.
Je suis issu d’une famille catholique pratiquante extrêmement dévote. Mes parents, surtout mon père, avaient été sous l’influence du clergé de la paroisse Saint-Charles-de-Limoilou.
Mon père, que j’ai toujours appelé par son prénom, Pierre, avait été servant de messe à la paroisse Saint-Charles jusqu’à l’âge de 20 ans. Il espérait que mon jumeau et moi l’imitions dans cette « vocation ».
Il n’est donc pas surprenant que Pierre ait insisté pour que nous récitions le chapelet en famille à chaque jour, pendant le Carême, après le souper.
Interdit de sortir avant 19 h
La plupart des gens de mon âge, et surtout les plus âgés, se rappelleront probablement de cette pratique très populaire du chapelet en famille dans les années 1950, et aussi dans les années 1960 pour les familles plus dévotes. C’était le cas dans ma famille.
Déjà, vers 1965, quand j’avais entre 8 et 10 ans, la tradition du chapelet avait beaucoup perdu en popularité. Nous étions probablement rendus une minorité de foyers, dans la paroisse, chez qui cette pratique persistait.
En effet, le Concile Vatican II lancé en 1962 avait abouti, en 1965, à des transformations qu’on voulait plus « modernes et attrayantes » pour les catholiques. La messe dans la langue des pratiquants, et non plus en latin, en était une manifestation évidente. D’autres changements, comme la « messe-à-gogo », illustraient bien le climat de panique du clergé qui voyait leurs « ouailles » déserter les églises et la pratique religieuse.
Une messe à gogo en vidéo
Je me souviens de la réaction des gens dans ma classe quand je mentionnais qu’après le souper, je ne pouvais pas sortir avant 19 h parce que nous faisions le chapelet en famille. Ceux qui n’en faisaient pas une raillerie me scrutaient des yeux, comme si j’étais un extraterrestre!
Heureusement, chez nous, nous ne récitions le chapelet en famille que pendant la période du Carême. Cela dit, nous étions extrêmement frustrés de devoir encore nous plier à cette pratique, pendant que nos amis profitaient des journées plus longues du printemps pour se réunir dans la cour de notre voisin arrière, chez notre ami Ti-Marc Bergeron, pour jouer au drapeau ou encore au ballon prisonnier. Nous pouvions les entendre crier er rire, s’amuser, pendant que mon jumeau et moi étions contraints à réciter le sacré chapelet.
Il nous arrivait d’exprimer nos frustrations en récitant en mode fast forward la dizaine de « Je vous salue Marie » que nous dirigions. Grand mal nous en prenait! Car mon père nous obligeait à reprendre complètement notre dizaine, jusqu’à ce que nous adoptions un débit normal.
Le rendez-vous radio de mes grands-parents
Chez mes grand-parents, le chapelet en famille, après le souper, était une pratique quotidienne. Comme pour beaucoup de gens de leur génération, mes grand-parents avaient pris l’habitude d’accompagner le monseigneur qui animait l'émission radiophonique « Le chapelet en famille » tous les soirs de la semaine.
Je me souviens être allé visiter, à quelques reprises, les grand-parents Hawey avec mes parents, en soirée. Il nous arrivait d’arriver à l’avance, c’est-à-dire pendant la récitation du chapelet dirigée à la radio par le monseigneur.
Dans de telles circonstances, mon père, qui avait aperçu ses parents dans la cuisine, au bout du corridor, nous dirigeait aussitôt dans le salon, en parlant à voix basse. Il nous surveillait pour que nous ne fassions aucun bruit et que nous parlions, nous aussi tout bas, jusqu’à la fin du chapelet.
Grand-papa et grand-maman étaient avec ma tante Jacqueline et mon oncle Michel, les quatre agenouillés devant leur chaise, à côté de la table de cuisine, les coudes appuyés sur le siège de la chaise et le front sur le dossier. Ils répondaient aux incantations radiophoniques du monseigneur dans un ballet synchronisé avec précision. Le chapelet était plutôt chanté que récité. Ça me semblait comme un mantra répété sans cesse sur la même tonalité.
Ma grand-mère, Alberta, qu’on appelait Berta, ne démontrait pas la même concentration pieuse de mon grand-père. C’était tout de même évident lorsque nous arrivions chez eux avant la fin du chapelet.
Mon jumeau et moi sortions la tête du salon, pour voir, tout au bout du corridor, les grands-parents en pleine récitation du chapelet. Berta poussait sa tête sur le côté du dossier pour nous faire des sourires, alors que mon grand-père la réprimandait pour, disait-il, ses enfantillages. Alors mon père, dans le salon, en faisait autant à notre endroit.
Une tradition tombée dans l'oubli
Heureusement, à terme, mon père avait fini par comprendre que cette pratique du chapelet en famille était devenue désuète et inappropriée pour l’époque à laquelle nous étions rendus. Il faut dire que le rythme des activités que nous avions adopté avait fini par convaincre mon père.
À partir de 1966, nous entamions nos études classiques à l’Externat Saint-Jean-Eudes. Les autorités du collège avaient avisé les parents des étudiants débutants que la charge normale de travail à la maison était d’au moins trois heures par soir. Nos pratiques quotidiennes de hockey, pour jouer dans l'équipe pee-wee des Castors de Québec, avaient cloué à tout jamais le cercueil de la pratique du chapelet en famille.
Legs pour ses deux enfants et leurs propres enfants, D’Irlande, de Limoilou et d’ailleurs a fait l’objet d’un article sur Monlimoilou. L'histoire de famille et la vie de jeunesse de Denys Hawey, qu'il raconte en 426 pages enrichies de photos, est disponible exclusivement à la Librairie Morency.
Souvenir précédent :
Le rêve de mon père : nos études classiques à Saint-Jean Eudes