Grand-papa Hawey et les émeutes du Printemps 1918 | 18 décembre 2022 | Article par Monlimoilou

Jean-Maurice Hawey et sa promise, Alberta Charland, pendant leurs fréquentations au début des années 1920.

Crédit photo: Denys Hawey

Grand-papa Hawey et les émeutes du Printemps 1918

Auteur de D’Irlande, de Limoilou et d’ailleurs, Denys Hawey partage pour nos lecteurs et lectrices ses souvenirs de jeunesse. Aujourd'hui, l'auteur nous propose ce retour sur un événement marquant de l'histoire contemporaine de Québec : les émeutes du Printemps 1918.

Mon arrière-grand-père Hawey, Jean-Baptiste Junior, le père de mon grand-père Jean-Maurice, avait d'abord été gérant, puis était devenu propriétaire d'un club social avec salle de billard dans le quartier ouvrier de Saint-Sauveur, dans la Basse-Ville de Québec. Le commerce était situé directement à côté de la taverne Dion, du côté de la rue Saint-Joseph.

À cette époque, Jean-Baptiste Jr ne roulait pas sur l'or. Il peinait à payer les études des enfants. Comme son aîné, Jean-Maurice, qui avait résolument abandonné l'idée de devenir prêtre, Jean-Baptiste Jr demanderait bientôt à ce dernier de venir l'aider au commerce.

Puis il y avait eu la guerre, la Première. Ça n'avait pas été facile pour la famille de Jean-Baptiste Jr. Des émeutes avaient éclaté dans le quartier qui avaient nui au commerce.

« La pagaille était déjà bien installée »

Un après-midi du début d'avril 1918, alors que Jean-Maurice revenait du Petit séminaire, il avait entendu des gens qui passaient rapidement et qui se dirigeaient vers la rue Saint-Joseph.

En rentrant chez lui, sur la rue d'Argenson, Jean-Maurice avait tout raconté à sa mère. Elle était inquiète pour son mari, Jean-Baptiste Jr, qui tenait commerce tout près. Elle avait alors demandé à Jean-Maurice de courir aviser son père qu'on prévoyait du trouble dans le secteur du commerce et de fermer boutique jusqu'à ce que le calme revienne. Mais lorsque Jean-Maurice est arrivé au commerce, il était trop tard : la pagaille était déjà bien installée. Les événements qui suivirent sont connus comme les émeutes de Québec au printemps de 1918.

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Jean-Maurice portait le « suisse », l'uniforme du Petit séminaire. Il s'agissait d'une tunique noire allant aux genoux, cintrée d'un ceinturon noué, de couleur mauve, et de pantalons gris. En principe, il n'était pas permis par les autorités du collège de porter l'uniforme en dehors des activités formelles de l'institution. Mais cette fois, Jean-Maurice n'avait pas pris le temps de se changer. Il était parti « en suisse » pour se rendre au commerce de son père. Il le regrettera amèrement.

Un commerce devenu lieu de résistance

Article paru dans Le Soleil du 20 novembre 1973 à l'occasion de la sortie de la pièce de théâtre au Trident relative aux émeutes de Québec, Printemps 1918. CLIQUER POUR AGRANDIR.
Crédit photo: Denys Hawey

Lors des événements du Printemps 1918 contre la conscription, la population de la Basse-Ville de Québec s'était révoltée en raison des arrestations, par des agents fédéraux anglo-saxons, de jeunes citoyens soumis au service militaire obligatoire.

Comme la cavalerie chargeait devant la foule qui manifestait au coin des rues Saint-Joseph et Saint-Vallier, la population avait répliqué en lançant des projectiles. Le major Mitchell avait alors fait installer une mitrailleuse au coin des rues Saint-Vallier, Saint- Joseph et Bagot, où la foule s'était rassemblée. En anglais, il avait crié aux gens de se disperser. Mais comme les manifestants ne comprenaient pas l'ordre lancé dans cette langue, ils n'avaient pas obtempéré.

Mitchell avait fait tirer. Les manifestants s'étaient dispersés en hurlant. Plusieurs, toutefois, avaient trouvé refuge dans le commerce de Jean-Baptiste Hawey Jr, devenu un lieu de résistance auquel s'était attaquée l'armée.

Au terme de l'émeute, on décomptera quatre morts et 70 blessés. 62 personnes avaient été arrêtées au cours de la nuit, dont Jean- Baptiste Jr et son fils, Jean-Maurice Hawey. Les père et fils Hawey avaient passé près de quatre jours à la prison de Québec, « la Petite Bastille », sans que Caroline Jalbert Hawey ne sache exactement où étaient son mari et son fils. C'était la première fois que le gouvernement canadien décrétait l'application de la Loi sur les mesures de guerre.

Quant à Jean-Maurice, les autorités du Petit séminaire n'apprécièrent vraiment pas la publicité faite autour d'un de ses élèves, vêtu de son « suisse », qui avait été fait prisonnier par l'armée au cours d'une émeute fortement condamnée par le clergé. En conséquence, Jean-Maurice fut renvoyé du Petit séminaire, sans aucun recours possible pour changer cette décision prise en haut lieu.

C'est ainsi que le destin de Jean-Maurice fut fixé. Il pouvait donc marier sa chère Bertha et entamer une nouvelle vie dans la paroisse de Saint-Charles de Limoilou, sur la 5e Rue, où il ouvrit un commerce. On y vendait à peu près de tout : des friandises, des médicaments, souvent non-brevetés, préparés par mon grand-père qui avait étudié en pharmacie au Petit Séminaire sans terminer ses études. C'était un peu comme l'ancêtre d'une pharmacie grande surface, avant l'âge.

Legs pour ses deux enfants et leurs propres enfants, D’Irlande, de Limoilou et d’ailleurs a fait l’objet d’un article sur Monlimoilou. L'histoire de famille et la vie de jeunesse de Denys Hawey, qu'il raconte en 426 pages enrichies de photos, est disponible exclusivement à la Librairie Morency.

Le présent texte fera partie d’un recueil de nouvelles à paraître en formats papier et numérique sous le titre Mes entrailles bénies – Anecdotes de jeunesse à Limoilou.

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