L’heureux hasard de Nellie Brière

C’est « un peu par hasard » et beaucoup par passion que Nellie Brière est devenue spécialiste des questions numériques. Un chemin atypique, parsemé d'expériences diversifiées, a mené à ce métier. Aujourd'hui à son compte, la Limouloise file le parfait bonheur avec ses deux chats, Eugène et Goliath.

L’heureux hasard de Nellie Brière | 18 juin 2022 | Article par Thomas Verret

Désormais Limouloise, l’experte du numérique Nellie Brière a adopté un petit chat, Eugène, trouvé dans les ruelles près de chez elle.

Crédit photo: Thomas Verret

C’est « un peu par hasard » et beaucoup par passion que Nellie Brière est devenue spécialiste des questions numériques. Un chemin atypique, parsemé d’expériences diversifiées, a mené à ce métier. Aujourd’hui à son compte, la Limouloise file le parfait bonheur avec ses deux chats, Eugène et Goliath.

Du communautaire au numérique

Il y a une quinzaine d’années, Nellie évoluait dans le milieu communautaire à Montréal, après des études en histoire à l’université. Elle dirigeait un organisme de mobilisation voué à l’amélioration du quotidien des familles d’un quartier défavorisé.

Puis est arrivée une offre d’emploi à ARTV. Le destin venait de frapper à sa porte. Comme une bouteille lancée à la mer, Nellie a envoyé sa candidature et a été engagée. Bien qu’elle ne savait pas dans quoi elle s’embarquait, cette embauche allait marquer un tournant pour elle.

« Même l’organisation (ARTV) devait plus ou moins savoir les compétences nécessaires pour faire de la gestion de communauté de médias sociaux. Personne ne faisait ces choses-là à l’époque », rappelle-t-elle.

Nellie n’a pas été engagée pour ses beaux yeux. Depuis des années, elle animait et tenait des chroniques on the side à la radio communautaire. Pour promouvoir son podcast, LadaetGeorges, elle avait commencé à utiliser les réseaux sociaux. En avance sur son temps, elle possédait déjà les compétences requises. Elle a eu la piqûre.

« Je trouvais ça fascinant. J’étais même allée faire de la recherche à l’UQAM sur le sujet », se souvient-elle.

Son podcast traitait beaucoup de la scène émergente musicale. Ça tombait pile-poil : au même moment, ARTV diffusait l’émission Mange ta ville. Ce magazine culturel présentait des artistes non conventionnels et des endroits méconnus à Montréal.

Nellie était heureuse comme un poisson dans l’eau en tant que gestionnaire de communauté.

« Ç’a tellement bien marché mon affaire à ARTV que Radio-Canada est venu me chercher au niveau stratégique. J’ai obtenu un poste de cadre pour m’occuper de toutes les stratégies de communications numériques », raconte-t-elle.

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Elle a occupé cet emploi à Radio-Canada pendant deux ans.

L’aventure d’Option nationale

En 2012 est survenu le fameux Printemps érable. Nellie s’est impliquée avec les étudiants de la grève, contre l’augmentation importante des frais de scolarité, une cause qui lui tient à cœur.

Elle a rencontré le chef d’Option nationale, Jean-Martin Aussant, à qui elle a donné un coup de main bénévolement. Ses implications politiques dérangeaient dans les hautes sphères de Radio-Canada.

« Ma vie devenait comme docteur Jekyll et M. Hyde », se remémore-t-elle.

« J’étais mal à l’aise de ne pas pouvoir militer dans ma vie personnelle, car j’avais envie d’être positionnée sur certaines questions. »

À l’hiver 2013, M. Aussant lui a offert le poste de Directrice des communications de son parti. Fidèle à ses convictions, elle l’a accepté.

« Jean-Martin me donnait carte blanche. C’était comme un laboratoire », se rappelle-t-elle.

Nellie a alors pu mettre de l’avant des pratiques novatrices en matière de communications numériques, davantage qu’à Radio-Canada.

« Ce qui était difficile à Radio-Canada, c’est que je devais toujours me battre avec les comms traditionnelles, qui voulaient faire comme dans le bon vieux temps, qui n’intégraient jamais le numérique au bon moment. »

« J’ai donc fait le pari inverse. J’ai pogné l’affaire à l’envers. Je me suis arrangée pour avoir du staff qui était habitué de faire des comms traditionnelles, et j’intégrais le numérique au bon moment. Ç’a super bien marché, notre affaire. »

Cependant, cette expérience avec Option nationale a été de courte durée. Le chef Jean-Martin Aussant a quitté le navire l’été même, au grand désarroi de tout le monde, dont Nellie.

Elle a alors quitté pour un nouveau défi à la Confédération des syndicats nationaux (CSN), à titre de conseillère en stratégie de communications numériques.

À ce moment, la Charte des valeurs québécoises divisait les Québécois. Nellie avait justement cofondé l’organisme Québec inclusif, qui se battait contre cette charte. La CSN était mal à l’aise, car nombre de ses membres étaient pro-charte. Les convictions politiques de Nellie dérangeaient à nouveau.

En 2015 est arrivé « le meilleur move » qu’elle ait jamais fait.

« J’étais tannée. Tout le monde voulait contrôler mes idées. Je suis partie à mon compte, c’est ça qui s’est passé. Ça va super bien depuis ce temps. »

Nellie Brière est depuis libre de ses opinions.

Son travail de vulgarisatrice se décline en trois volets : chroniqueuse techno dans les médias, formatrice-conférencière auprès d’organismes à but non lucratif et consultante en stratégies numériques.

À la radio et à la télé

Sur une base hebdomadaire, Nellie tient quatre chroniques radio sur l’actualité numérique, à Radio-Canada. Elle observe un certain devoir de réserve, par souci de neutralité dans son analyse.

« Par exemple, je ne vais pas faire de publication pour m’afficher à un parti politique, car je veux pouvoir les analyser en campagne électorale », explique-t-elle.

Par ailleurs, ses positions sont connues et bien assumées, notamment en ce qui a trait à l’environnement, à l’inclusion sociale et au féminisme.

« Ça fait en sorte que je travaille souvent pour des organismes qui ont les mêmes convictions. J’attire des organisations qui sont à l’aise de travailler avec moi, plutôt que de devoir toujours me contraindre à ne pas parler. Je préfère cette façon de faire », indique-t-elle.

En se lançant à son compte, Nellie Brière a suivi sa petite voix intérieure, plutôt que d’écouter son entourage.

« J’ai un adage dans la vie. Si je n’envie pas la vie d’une personne, je n’écoute pas ses conseils. Et ça n’arrive pas souvent que je rencontre des gens dont j’envie la vie. En fait, je me suis écoutée moi-même. Je ne le regrette pas. »

Depuis l’hiver dernier, on la voit sur nos écrans à Télé-Québec, aux côtés de Mehdi Bousaidan à l’émission En ligne. Nellie accompagne l’humoriste dans l’univers du numérique et des réseaux sociaux. Elle donne des conseils et explique des notions essentielles aux bonnes pratiques en ligne.

Attraction image l’a approchée pour proposer un magazine, et ils ont eu l’idée de cette émission.

« J’ai défendu le show moi-même pour convaincre Télé-Québec, qui a choisi de le diffuser. Ça s’est fait comme sur un tapis rouge. Je n’ai rien forcé, c’est vraiment fou. Je suis chanceuse », dit-elle.

Nellie Brière a travaillé fort pour développer son expertise. C’est la somme de toutes ses expériences.

« À la base, j’ai une formation en histoire. Je suis une fille qui lit énormément et qui est très proche du milieu universitaire. Je m’intéresse beaucoup à l’éthique et au numérique, ainsi qu’aux enjeux politiques. J’ai une compréhension de ce domaine, car j’y ai travaillé. Ce tour d’horizon, super varié que j’ai eu dans ma vie, me sert bien. »

« J’ai aussi une connaissance du milieu communautaire et de la mobilisation auprès des instances municipales, provinciales et fédérales. Je comprends comment les projets de loi se montent et la façon dont les gens et les organisations militent. Je suis capable d’analyser le numérique dans une perspective qui est très ancrée dans ce que vivent les Québécois. »

« Ma vie est dédiée à faire comprendre aux Québécois le lien du numérique dans leur vie. Ça leur permet d’avoir une vision plus éclairée sur les enjeux numériques. Autant dans l’utilisation qu’ils en font, que dans les projets de loi qui arrivent et qui auront un impact dans leur vie. Mon expertise variée m’a mise sur la map. C’est un créneau très spécifique. »

L’amour de Limoilou

Nellie Brière habite Limoilou depuis deux ans.

« Limoilou, c’est un choix du cœur », confirme-t-elle.

Nellie aime le quartier, sa vie de voisinage, ses ruelles, ses commerces de proximité et la nature environnante.

« Je ne voulais pas être pognée dans un bungalow pis que personne se parle. Je voulais avoir une vie de voisinage. Après tout, j’arrive toute seule dans une nouvelle ville. Limoilou est un milieu proche de mon mode de vie et de ma personnalité », mentionne-t-elle.

Une rencontre féline inoubliable

Nellie a rencontré l’un de ses chats, Eugène, dans les ruelles de Limoilou, par un dimanche soir glacial de fin janvier. En train de chercher de la nourriture, près du IGA, il tentait de se réchauffer.

« Une heure et demie après, je suis retournée. Il était encore là. Je lui ai donnée de la nourriture. Il avait l’air affamé et il faisait comme -35, je me disais qu’il ne passerait pas la nuit avec les grands froids. J’ai donc appelé la SPA, et il s’est laissé prendre et mettre dans la cage. Il ne s’est même pas débattu! », dit-elle.

Nellie a demandé à la SPA de la prévenir si on retrouvait le maître de ce petit chat. Avec des amoureux des chats de Limoilou, elle a placardé le quartier d’affiches.

« Les groupes de chats de Limoilou, c’est quelque chose », lance-t-elle en riant.

« Il y en a beaucoup et les gens sont vraiment mobilisés. À cause de ces groupes, je croise plein de chats dans les rues et je connais leur nom. »

Le chat était micropucé. Ses anciens propriétaires ont été retrouvés. Ils ont confirmé l’avoir abandonné.

« La SPA m’a rappelée et j’ai accepté de l’adopter », relate Nellie Brière.

Elle a décidé de l’appeler Eugène en l’honneur d’un livre écrit par sa grand-mère.

« C’est l’un des premiers livres que j’ai lus. Ça s’appelait Eugène vit ta patte. C’était l’histoire d’un chat roux fluffy, comme lui, qui n’arrêtait pas de s’enfuir, car il ne voulait pas vivre dans la maison, qui réclamait sa liberté de chat. C’est drôle, c’est comme l’histoire d’Eugène, et ma grand-mère a vraiment eu ce chat-là. »

« Cependant, bien que je ne suis pas contre ça, mes chats ne sortent pas. J’ai trop peur qu’ils se fassent frapper par une voiture. Je les stimule en masse, et on est très heureux, tous les trois ensemble. »

Québec, la belle

À Québec, Nellie n’a pas de voiture. Elle préfère de loin marcher.

« À Montréal, je faisait juste du vélo. Ici, je le sors moins parce que c’est tellement cool marcher. Québec, c’est beau partout, c’est fou. C’est vraiment agréable! »

« J’aime me promener dans le Vieux-Port. Je traverse la rivière et après, je vais sur le bord du fleuve. Je remonte ensuite dans le Vieux-Québec et je reviens par Saint-Roch. C’est ma ride préférée. Je la fais au moins une fois par semaine. Je trouve ça malade. J’en reviens pas que ça soit beau tout le long. »

Amateure de caféine, Nellie Brière adore le café Cantook, sur la rue Saint-Jean. Elle va aussi travailler au Maelstrom, dans Saint-Roch. Elle aime les restaurants comme La Planque, à Limoilou, et le Hono Izaka sur Saint-Joseph-Est.

Amoureuse de la nature, Nellie se promène aux abords de la rivière Saint-Charles, où elle fait des pique-niques. Elle se rend aussi régulièrement au Domaine Maizerets pour observer les oiseaux.

Nellie aime faire du cyclotourisme dans sa propre ville. Elle est de la première clientèle de l’histoire d’àVélo, le système de vélo partage à assistance électrique.

Toutefois, elle ne pensait pas débarquer dans un secteur où l’air est encore plus pollué qu’à Montréal au début des années 90.

« La carrière Miron, c’était exactement comme l’incinérateur. La Ville l’a faite démolir parce qu’elle était dans un quartier populeux. »

« J’arrive à Québec et je me dis : Ayoye, ils ont tout gardé ça, l’industriel dans le résidentiel. Fak je vais militer pour que ça change. Ça ne se peut pas que ça soit le plan pour l’avenir de notre ville. »

Cela dit, Nellie Brière est encouragée par la volonté des résidants du secteur, et la vision de plusieurs nouveaux élus, dont la conseillère municipale de Limoilou, Jackie Smith.

« Je suis dans un quartier où l’on ne veut pas de la pollution dans l’air, où les gens font du compost, comme moi. Je me sens proche de mes voisins. Je me sens en raccord dans les luttes à continuer. »

La résistance au numérique

Le désir de Nellie de changer les choses se traduit dans son métier. Elle estime qu’il existe encore en 2022 « une résistance très forte au numérique » dans la Belle Province.

« On n’avance tellement pas vite au Québec, ça me fascine, particulièrement dans les milieux des OBNL et du communautaire. »

« J’ai l’impression que cette résistance du numérique au Québec a un lien avec notre quête identitaire et notre rapport à la langue », avance-t-elle.

« Parce que ces entreprises sont anglophones, en partant. Historiquement, les Québécois ont un rapport de domination économique et politique avec les anglophones. Alors qu’on se retrouve dans une hémogénie anglophone. Ça créé un mélange des genres, qui fait en sorte que l’on est beaucoup plus fermés à l’utilisation et à l’intégration du numérique dans bien des aspects de nos vies, par rapport au reste du Canada anglophone. »

Selon Nellie Brière, le Québec a encore beaucoup de chemin à faire pour l’intégration du numérique dans les différentes sphères.

« On n’a pas avancé tant que ça. Ça m’inquiète. Mais les jeunes, oui. Il y a un écart. Les générations plus âgées, qui sont en poste de pouvoir comme dirigeants, n’ont pas bougé du tout. Souvent, je donne des formations à des juges qui n’ont même pas de compte Facebook. On s’entend pour dire que t’es perdu en tabarouette, s’il faut que tu juges un procès avec cet élément qui entre en considération dans le jugement. »

Bien qu’ils utilisent davantage les médias numériques que les générations précédentes, les jeunes ont besoin d’être mieux accompagnés dans cet univers complexe, dit Nellie.

« Quand je vais dans les cégeps ou les écoles secondaires, dans tous les cas, les jeunes utilisent beaucoup le numérique. Par contre, la lacune se situe dans le fait qu’on ne les accompagne pas dans leur sens critique. Ils ne comprennent pas comment fonctionnent les algorithmes ou l’impact que ça peut avoir sur leurs opinions. Leurs enseignants ne sont pas capables de leur montrer ça, parce qu’ils sont dans la résistance. On a du chemin à faire. C’est ça que j’essaie de changer. »

Dans son travail auprès des entreprises, elle constate que les idées sont bel et bien présentes, mais se réalisent rarement.

« Souvent, il y a quelqu’un dans l’entreprise qui sait ce qu’il faut faire, mais personne ne l’écoute. C’est presque tout le temps ça, en fait. Dans ces cas-là, je vais dire aux gens de suivre cette personne. Je vais donner du pouce à ce qu’elle propose, en donnant des formations à tout le monde pour qu’ils puissent suivre. »

Nellie Brière donne également des formations anonymes à des cadres qui se sentent dépassés par les nouvelles technologies.

« Ces cadres veulent prendre des décisions, mais ils ne veulent pas perdre la face. Je vais les accompagner, et ça leur permet ensuite de juger le travail de leurs employés. »

« J’agis comme une formatrice à l’interne, c’est de l’apprentissage, de l’éducation populaire et professionnelle en même temps. »

Nellie Brière souligne que toutes les organisations ont progressé, au fil des ans, tant les entreprises, les organismes que les partis politiques. Toutefois, l’univers du numérique change à la vitesse grand V.

« L’ouverture est là. Ces organisations ont bougé depuis 2008, 2009, mais ça reste qu’il y a des nouveautés auxquelles elles n’ont pas encore adhéré. Elle doivent emboiter le pas. Les plateformes numériques ont changé et sont en constante évolution », conclut-elle.

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Raquel Fletcher, la journaliste des Prairies québécoises

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