Auteur de D’Irlande, de Limoilou et d’ailleurs, Denys Hawey partage pour nos lecteurs et lectrices ses souvenirs de jeunesse. Ce dimanche, l'auteur nous confie son expérience de vendeur de billets à l'hippodrome.
L’hippodrome et la Série du siècle en 1972
Auteur de D’Irlande, de Limoilou et d’ailleurs, Denys Hawey partage pour nos lecteurs et lectrices ses souvenirs de jeunesse. Ce dimanche, l’auteur nous confie son expérience de vendeur de billets à l’hippodrome.
Dès l’âge de 15 ans – j’allais avoir 16 ans en septembre 1970 – j’avais obtenu un emploi comme vendeur de billets de gages à la piste de courses de chevaux de Québec. J’y travaillerai tout le temps de mes études. Les programmes de courses de chevaux sous harnais avaient lieu les mardis et jeudis soirs, puis en après-midi les samedis et dimanches.
« La plupart trouvaient le truc »
Pour les plus jeunes, il faut mentionner que l’hippodrome était situé dans le parc de Expo-Québec, à peu près sur le terrain occupé maintenant par le Centre Vidéotron. Les clients étaient accueillis sur trois paliers d’estrades superposées munies d’une cloison vitrée permettant de ne rien manquer du spectacle des courses, et de demeurer au chaud en hiver.
Nous n’étions que quelques jeunes encore aux études qui occupaient des emplois de vendeurs de billets. Les vendeurs étaient payés près de 14 $ par soir. La plupart des employés étaient des hommes matures. Il y avait quelques femmes seulement. Toutes et tous étaient amateurs de courses et de paris. Ils prenaient le boulot pour accéder à l’hippodrome gratuitement, mais surtout pour avoir des indications sur les meilleurs « odds », sur les paris favoris.
Officiellement, les employés n’avaient pas le droit de gager. Mais la plupart d’entre eux, intéressés, trouvaient le truc pour gager sans se faire prendre par les agents fédéraux de la RCMP, qui supervisaient les activités de l’hippodrome.
Personnellement, j’avais mis beaucoup de temps à oser mettre un deux dollars sur un cheval. Mon père, qui avait travaillé aux courses pendant quelques décennies, m’avait tellement fait peur! Il ne cessait de me raconter des histoires d’horreur de gens qu’il avait connus et qui s’étaient ruinés au jeu. Il en parlait comme d’une maladie qui nous prenait par surprise, soudainement, et de laquelle certains ne se remettaient jamais.
Les vendeurs de billets de gages connaissaient les magouilleurs soupçonnés de détenir des informations inédites, des « tuyaux » sur les résultats des courses. Ils étaient épiés lorsqu’ils venaient chercher de ces billets. L’information se passait entre les employés comme une traînée de poudre. Et ces mêmes employés tentaient leur chance. Comme on pouvait s’y attendre, des fois, ça marchait; d’autres fois, non!
Les règles étaient cependant très strictes. Ainsi, les vendeurs n’avaient pas le droit de compter l’argent accumulé dans leur caisse. À la fin de chacune des dix courses, nous devions mettre notre argent dans une pochette, avec un bordereau indiquant le numéro du compteur de notre machine à billets au début et à la fin de la course.
Advenant un déficit d’argent (un short) dans la caisse, il était déduit de notre paie. En cas de surplus, c’était l’employeur qui empochait. Vous comprendrez que chacun assistait l’autre dans la tâche de nous assurer que notre pochette n’était ni short ni en surplus, sans nous faire prendre sur le fait par la RCMP. Il arrivait qu’un vendeur qui avait vérifié sa caisse reçoive quand même un avis de short à déduire de sa paie. Il n’y avait évidemment pas de recours possible, puisque nous n’avions pas le droit de compter notre caisse. Une très grande solidarité s’était forgée entre les employés. Les règles étant tellement strictes, nous avions le sentiment d’être exploités injustement, ce qui renforçait notre camaraderie.
Un soir, un client qui s’appelait Paul, et qui se faisait appeler Pauline, avait eu un conflit avec un de nos collègues. Pauline était un grand gaillard, costaud, de belle apparence. Il portait toujours des habits classiques, chemises blanches et cravates assorties. Mais ce qui était le plus apparent sur sa personne, c’était ses nombreux bijoux et accessoires en or. Quand il gagnait de bons montants, Pauline était aussi d’une extravagante générosité. Il lui arrivait notamment de payer une tournée de bières à tous les vendeurs de l’étage.
Le collègue qui avait eu maille à partir avec Pauline était un nouvel employé. On l’avait bien averti de ne pas accepter des gageures commandées à distance, à quelques secondes des départs de courses. Mais le gars avait convenu de prendre de telles gageures de dernière minute avec Pauline. Il connaissait sa réputation d’avoir des « tuyaux » et il voulait en profiter pour imprimer pour lui-même quelques billets de gage, en plus de ceux commandés par Pauline.
Ce qui devait arriver arriva : Pauline avait hurlé à distance une gageure (un bet, dans le langage courant) pour que le collègue sorte le plus grand nombre de billets commandés. Les machines qui imprimaient les billets de gage s’arrêtaient automatiquement dès le début de la course.
À la fin de la course, Pauline était tout content d’aller chercher et de payer ses billets gagnants. Mais, après les avoir payés au collègue, il avait réalisé que les billets n’étaient pas gagnants. De toute évidence, il y avait eu confusion entre la commande criée par Pauline et la prise de billets de gages faite par le nouveau vendeur.
Pauline en était venu rapidement à un argument avec le collègue vendeur de billets. Ce dernier n’en démordait pas : il n’aurait eu qu’à caller la shot plus clairement. Pauline avait pris les nerfs. Il hurlait de menaçantes insultes au vendeur. Ce dernier connaissait la réputation de petit mafieux accolée à Pauline. Il était vraiment apeuré, paralysé. Tellement qu’il était allé donner sa démission sur-le-champ et qu’il avait déguerpi en se cachant de Pauline. Pendant ce temps, des employés, qui connaissaient le personnage, lui avaient fait entendre raison. On n’avait plus jamais revu cet employé à la piste de courses.
L’inoubliable confrontation Canada-Russie
Cet événement était passé inaperçu aux yeux des agents fédéraux. Nous étions le samedi, 2 septembre 1972. Comme la très grande majorité des Canadiens et des gens qui s’étaient déplacés pour venir célébrer sur le terrain d’Expo-Québec, les agents fédéraux étaient tous installés debout, devant l’hippodrome, à l’extérieur, où on avait installé un écran géant permettant de regarder le premier match de la Série du siècle opposant le Canada à la Russie.
Legs pour ses deux enfants et leurs propres enfants, D’Irlande, de Limoilou et d’ailleurs a fait l’objet d’un article sur Monlimoilou. L’histoire de famille et la vie de jeunesse de Denys Hawey, qu’il raconte en 426 pages enrichies de photos, est disponible exclusivement à la Librairie Morency.
Le présent texte fera partie d’un recueil de nouvelles à paraître en formats papier et numérique sous le titre Mes entrailles bénies – Anecdotes de jeunesse à Limoilou.
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