Entre les poussières rouges, le nickel et les odeurs parfois suspectes, les Limoulois et Limouloises ont plus d’une bonne raison de s’inquiéter de la qualité de l’air de leur quartier. C’est pour répondre à ces préoccupations que le projet de sciences citoyennes Limoil’Air a vu le jour, grâce à la collaboration entre les conseils de quartiers de Limoilou et Revolv’Air.
Limoil’Air : mixologie des particules
Entre les poussières rouges, le nickel et les odeurs parfois suspectes, les Limoulois et Limouloises ont plus d’une bonne raison de s’inquiéter de la qualité de l’air de leur quartier. C’est pour répondre à ces préoccupations que le projet de sciences citoyennes Limoil’Air a vu le jour, grâce à la collaboration entre les conseils de quartiers de Limoilou et Revolv’Air.
Depuis le printemps 2022, plus de 60 capteurs ont ainsi été installés dans le Vieux-Limoilou, Lairet et Maizerets, pour documenter la qualité de l’air. Mais que mesurent donc ces capteurs?
Le point sur la taille
Les capteurs de Limoil’Air détectent ce que les scientifiques appellent dans leur jargon les PM2,5. Il s’agit de particules de matière dont le diamètre est inférieur à 2,5 microns ou, pour le dire plus simplement, de poussières environ 20 fois plus petites que l’épaisseur d’un cheveu.
Il existe d’autres types de capteurs pour mesurer les PM1 et les PM10, soit les poussières inférieures à 1 micron ou à 10 microns. D’autres capteurs mesurent les PST, pour poussières en suspension totales, soit toutes les poussières jusqu’à une taille de 150 microns.
À l’échelle du micron, distinguer les PM2,5, les PM10 ou les PST peut sembler du pinaillage. Et pourtant, ces différences de taille font toute une différence sur le plan de la toxicité.
« Plus les particules sont fines, plus elles ont une capacité à pénétrer dans les voies respiratoires et ce sont les PM10 qui ont cette capacité de pénétrer dans les voies respiratoires », explique Maximilien Debia, professeur à l’École de santé publique à l’Université de Montréal.
En conséquence, les capteurs qui ne mesurent que les PM2,5 donneront un aperçu partiel de la qualité de l’air à Limoilou.
Un cocktail de particules
Les capteurs de PM2,5 ne s’intéressent qu’à la taille des poussières. Autrement, ils comptabilisent sans distinction tout ce qui mesure moins de 2,5 microns, que ce soit des particules métalliques, des résidus d’hydrocarbures ou autres.
« Les capteurs mesurent les PM2,5, mais on ne connait pas la nature de ces particules. C’est un cocktail », décrit Guillaume Simard, fondateur de Revolv’Air et concepteur de sa plateforme.
Dans le contexte de Limoilou, ce cocktail peut contenir toutes sortes de particules venant des activités portuaires, de l’incinérateur, de la papetière, en plus de la circulation routière et du chauffage au bois. Ce cocktail a d’ailleurs déjà fait l’objet de quelques études.
Un rapport (.pdf) du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC) rapporte la présence de PM2,5, de PST, de plusieurs métaux, de dioxines, de furanes, d’hydrocarbures aliphatiques et autres molécules aux abords de l’incinérateur. Mais l’analyse des vents tend à écarter l’incinérateur comme source de ces contaminants. Ils viendraient plutôt de la circulation automobile, du chauffage au bois et des activités portuaires et industrielles à l’est du quartier.
Selon ce rapport, seules les concentrations de PST, PM2,5, et plus particulièrement du nickel, dépassent les normes. Ces constats ont débouché sur une autre étude, pour savoir d’où vient le nickel qui plane dans l’air de Limoilou. On sait aujourd’hui que ce nickel vient des activités portuaires. Mais l’histoire ne doit pas s’arrêter là.
Limoil’Air, la force du nombre
Selon le Règlement sur l’assainissement de l’atmosphère, la norme québécoise pour les PM2,5 est de 30 µg/m3 sur une période de 24 heures. C’est deux fois plus que la recommandation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui est de 15 µg/m3 sur 24 heures. Si les concentrations de PM2,5 dépassaient la norme québécoise, autant dire que la recommandation de l’OMS est largement dépassée.
Il y a maintenant suffisamment d’études montrant les effets néfastes sur la santé respiratoire et cardiovasculaire des PM2,5 pour justifier d’investiguer davantage cette forme de pollution dans Limoilou. D’où viennent ces PM2,5? Certains secteurs de Limoilou sont-ils plus touchés que d’autres? C’est à ces questions que veulent répondre les responsables du projet Limoil’Air.
« Un des objectifs du projet serait d’identifier les sources de particules fines. On peut visualiser le nuage des particules et en fonction de la direction des vents, on peut identifier une source. On pourra aussi identifier des zones plus problématiques », précise Guillaume Simard.
Avec sa cinquantaine de capteurs répartie dans le quartier, il donnera une image plus détaillée de la pollution par les PM2,5 que ne le faisaient les études du MDDELCC avec seulement 3 capteurs localisés dans le même secteur.
Par contre, les mesures des PM2,5 resteront muettes sur le nickel. Il serait théoriquement possible d’analyser les PM2,5 mesurées par les capteurs pour savoir si elles contiennent du nickel, mais la concentration de nickel obtenue ne pourrait pas être comparée à la norme du nickel. Pourquoi? Parce que la norme du nickel est établie à partir des PM10, c’est-à-dire pour les PM2,5 et aussi pour les particules ayant une taille comprise entre 2,5 et 10 microns.
« Il faut faire attention de ne pas comparer le nickel contenu dans les PM2,5 à la norme sanitaire du nickel qui est établie pour les PM10, prévient Maximilien Debia. Mais si l’objectif du projet est d’identifier les secteurs les plus susceptibles de recevoir de la contamination aéroportée, ça peut donner une indication sur les quartiers à cibler pour faire une analyse sanitaire de la composition des aérosols et faire une comparaison avec des contaminants spécifiques comme le nickel. »
Même après Limoil’Air, l’histoire devra se poursuivre.
Cet article est le premier d’une série spéciale soutenue par le Data-Driven Reporting Project.
Monquartier/Monlimoilou est l’un des trois récipiendaires au Canada de la première cohorte de ce programme qui appuie des projets de journalisme d’investigation et de données en Amérique du Nord.
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16, rue Royal-Roussillon, Québec (Québec), G1L 2J7
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