Auteur de D’Irlande, de Limoilou et d’ailleurs, Denys Hawey partage pour nos lecteurs et lectrices ses souvenirs de jeunesse. Aujourd'hui, il nous témoigne des premiers beaux jours du centre commercial de Lairet - la Place des Chênes.
Sur les cendres d'un salon de quilles
Il y avait, en lieu et place de Place des Chênes à Sainte-Odile, un salon de quilles : la Laurentienne. Les plans d’architecture du bâtiment avaient été produits en 1961. C’était, disait-on à l’époque, la plus grande et la plus moderne salle de quilles de la région.
C’est très probablement en 1963, peut-être en 1964, qu’un incendie majeur avait détruit le bâtiment.
À l'époque, la rumeur avait circulé à l’effet que le sinistre était d’origine criminelle. Cependant, suivant un appel à tous placé sur Facebook, plusieurs ont mentionné que le feu était survenu alors qu’on appliquait un produit vernis pour rafraîchir les allées de quilles. Une étincelle dans le produit inflammable aurait ainsi causé l’incendie.
J’avais à peine neuf ou dix ans. Je me souviens que nous étions tous rassemblés dans la rue devant l’édifice en feu. La déflagration était tellement sévère que les résidents avoisinants arrosaient leurs murs et toits afin d’éviter que le feu se propage.
Le lendemain, comme plusieurs autres jeunes, nous avions ratissé les débris dans l’espoir de retrouver quelques quilles. Nous avions plus tard appris que des plus vieux avaient réussi à se monter des allées complètes et qu’ils avaient récupéré suffisamment de boules et de quilles dans un très bon état ; tellement que la rumeur circulait selon laquelle ces jeunes avaient pénétré dans la salle de quilles avant que le feu ne devienne trop important et que les pompiers n'arrivent sur les lieux.
Cependant, je n’ai rien pu trouver dans les archives disponibles en ligne qui aurait permis de préciser la date exacte de l’incendie.
Banque canadienne nationale et IGA
Toujours est-il que déjà, en septembre 1964, la Banque canadienne nationale faisait publier dans les journaux des publicités mettant en évidence l’allure de sa nouvelle succursale, toute en murs vitrés, située à l’extrémité ouest de Place des Chênes.
Place des Chênes avait rapidement réussi à attirer plusieurs commerçants. Le bâtiment, en forme de « U » inversé, avait notamment hébergé un supermarché IGA à son extrémité est. Le barbier, déjà bien établi dans le coin, avait aussi loué un emplacement à Place des Chênes. Comme le centre commercial était situé à proximité de l’école primaire, les jeunes étudiants constituaient une bonne clientèle.

Crédit photo: Jocelyn Paquet (collection personnelle)
D'un petit « comptoir lunch »...
Je me souviens qu’un couple d’âge moyen avait décidé d’ouvrir un petit restaurant de style « comptoir lunch » au milieu de l'immeuble. Le couple avait ceci de particulier qu’il
semblait sortir d’un autre monde que le nôtre.
À les voir se comporter, et à leur habillement, les deux avaient des allures de famille noble sortant de leur château de la Loire. Même leur patronyme, affublé d’un préfixe « D’ », donnait à penser qu’ils venaient de la noblesse française.
Le monsieur avait un accent étranger. Il portait des chemises blanches avec foulard de soie au cou. Il n’enlevait son veston qu’en période de pointe, lorsque plusieurs clients réclamaient en même temps ce que son menu indiquait comme étant des « hambourgeois avec frites et sauce brune ».
Le patron s’était résigné à inscrire « chien chaud vapeur» pour désigner de bons vieux hot-dogs « steamés ». Je soupçonne que s’il n’en avait été que de lui, les hot-dogs vapeurs avec ketchup, relish et moutarde auraient apparu dans le menu comme étant des « quenelles de porc à l’étuvée aux trois sauces ».
Madame, quant à elle, avait une allure quelque peu hautaine et daignait à peine regarder les clients qu’elle servait. Elle était du genre « Petit sac bleu pétrole parisien » : grande et élancée, cheveux tombant gracieusement sur les épaules, jupe ceinturée à la taille mince. Les jeunes hommes aimaient bien être servis par Madame.
... à lieu de rencontre
Rapidement, les jeunes adolescents du coin avaient repéré le resto et tenté d’en faire leur point de ralliement de début de soirée. Le proprio n’avait pas mis de temps à réaliser leur intention et il avait dû les avertir que ce n’était pas l’endroit pour siroter un « crème soda » pendant une heure.
Éventuellement, le couple propriétaire avait adopté une pratique qui ne laissait aucun espoir aux traînards. Dès que leurs deux filles arrivaient du collège privé qu’elles fréquentaient – nous le savions par leur uniforme – les proprios laissaient entendre aux clients que le compte-à-rebours était enclenché et qu’ils allaient bientôt fermer.
Place au St-Hubert
Le comptoir lunch aura finalement eu une vie écourtée par le manque de clientèle. La famille a dû fermer boutique après quelques mois seulement. Nul ne sait où elle s’était installée par la suite. Je crois que l’espace avait ensuite été occupé par le premier St-Hubert à Québec. C’était un comptoir, sans salle à manger, où on pouvait commander le poulet. On y faisait surtout de la livraison.
Legs pour ses deux enfants et leurs propres enfants, D’Irlande, de Limoilou et d’ailleurs a fait l’objet d’un article sur Monlimoilou. L'histoire de famille et la vie de jeunesse de Denys Hawey, qu'il raconte en 426 pages enrichies de photos, est disponible exclusivement à la Librairie Morency.
Le présent texte fera partie d’un recueil de nouvelles à paraître en formats papier et numérique sous le titre Mes entrailles bénies – Anecdotes de jeunesse à Limoilou.