Les gratuités de ma jeunesse à Limoilou

Auteur de D’Irlande, de Limoilou et d’ailleurs, Denys Hawey partage pour nos lecteurs et lectrices ses souvenirs de jeunesse. Aujourd'hui, l'auteur se demande si l'on n'en viendra pas à devoir débourser pour les valeurs humaines.

Les gratuités de ma jeunesse à Limoilou | 15 janvier 2023 | Article par Monlimoilou

« Une amie montréalaise avait été surprise de ne pas pouvoir trouver d’ailes de poulet à la boucherie. On n’en vendait tout simplement pas. » L’épicier-boucher L. P. Couture, sur la 3e Avenue, en 1974.

Crédit photo: Jocelyn Paquet (collection personnelle)

Auteur de D’Irlande, de Limoilou et d’ailleurs, Denys Hawey partage pour nos lecteurs et lectrices ses souvenirs de jeunesse. Aujourd’hui, l’auteur se demande si l’on n’en viendra pas à devoir débourser pour les valeurs humaines.

Quand j’étais jeune, il y avait plusieurs commodités qu’on pouvait se procurer gratuitement. Ce n’est pas qu’elles ne valaient rien à nos yeux : nous étions conscients de leur importance. Mais nous n’y accolions pas une valeur monnayable. C’était le cas de l’air, de l’eau, du feu et de l’espace.

« Check donc MON air dans MES pneus! »

Aujourd’hui, il faut payer pour l’air. Nous savons maintenant que cette ressource essentielle à la survie est limitée et que, conséquemment, l’air a maintenant un prix qui fluctue en fonction de sa disponibilité.

Dans ma jeunesse, l’air était donc gratuit. Il ne nous serait jamais venu à l’idée qu’on puisse nous charger un prix pour en avoir. Pourtant nous étions conscients de son importance et nous avions même un sentiment de possession pour l’air.

Prenons, par exemple, l’air des pneus. Je me souviens que mon père aimait rappeler au pompiste que l’air des pneus de sa voiture lui appartenait. Il lui rappelait à chaque plein d’essence en lui disant :

« Check donc MON air dans MES pneus! »

D’ailleurs, à l’époque, le service du pompiste était gratuit. Il nettoyait les fenêtres du véhicule et il s’assurait que tous les liquides étaient au bon niveau, que ce soit pour l’huile du moteur, le lave glace, etc.

Tous les commerces offraient gratuitement des objets de promotion utilitaires : du carton d’allumettes, au briquet jetable, au calendrier annuel. Il en était de même pour l’eau. Il ne serait jamais venu à l’idée d’un commerçant, ou de quelque personne, de charger un montant pour permettre à quelqu’un de se rassasier. Encore moins de le faire payer pour le laisser se soulager!

D’ailleurs, on pouvait trouver des abreuvoirs et des toilettes dans la plupart des endroits publics et on n’avait pas à défrayer pour ces services que l’on considérait comme essentiels. De nos jours, il n’est pas évident de trouver des toilettes publiques en ville et, le cas échéant, elles sont payantes pour la plupart. À croire que certains êtres humains moins fortunés ont une capacité de rétention hors du commun!

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Et que dire de l’espace que nous occupons! Quand j’étais jeune, il était acquis que nous pouvions garer notre voiture à proximité des commerces ou des autres lieux où nous voulions nous rendre. Si nous allions voir une partie de hockey au Colisée, il y avait suffisamment de place pour recevoir tous les véhicules des amateurs de hockey, et c’était gratuit. L’idée de faire payer un automobiliste pour occuper temporairement un espace de stationnement était incongrue, contraire aux usages et à la bienséance.

Une amie montréalaise, venue s’installer à Limoilou au début des années 1980, avait été surprise de ne pas pouvoir trouver d’ailes de poulet à la boucherie. On n’en vendait tout simplement pas. On s’en débarrassait, comme les abats, aussi. Un boucher l’avait trouvée tellement drôle de demander des ailes de poulet! Il était allé dans le contenant à rebuts de sa salle de coupe pour récupérer celles qu’il venait d’y jeter, les avait mises dans un sac et les avait remises à mon amie, qui l’avait fait rire aux éclats quand elle lui avait demandé combien elle lui devait. Entre deux éclats de rire, le boucher lui avait dit que c’était gratuit. On était bien loin des soirées du Super Bowl!

Aujourd’hui donc, il semble que tout soit payant. Tous les services, même les biens et services essentiels à l’humain sont devenus payants. Et leur coût devient de plus en plus important en fonction de leur rareté.

Suivant cette tendance, il faudra probablement débourser pour les valeurs humaines telles que le respect, la considération, l’écoute attentive, l’ouverture, la bienveillance, l’empathie, l’affection et l’amour. Certains me répliqueront que, pour quelques-unes de ces valeurs humaines, des frais sont déjà exigés…

Legs pour ses deux enfants et leurs propres enfants, D’Irlande, de Limoilou et d’ailleurs a fait l’objet d’un article sur Monlimoilou. L’histoire de famille et la vie de jeunesse de Denys Hawey, qu’il raconte en 426 pages enrichies de photos, est disponible exclusivement à la Librairie Morency.

Un recueil de nouvelles paraîtra sous peu en formats papier et numérique sous le titre Mes entrailles bénies – Anecdotes de jeunesse à Limoilou.

Lire aussi :

Le Réveillon avec le « Survenant » de Limoilou

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