Ici vécut : J. Ulric Voyer, au 170, 13e Rue

On retrouve, sur différents immeubles de Québec, 142 plaques Ici vécut. Elles rappellent à nos mémoires des personnes qui ont marqué l'histoire de la ville. Joachim-Ulric Voyer (1892-1935) a laissé son nom dans l'histoire canadienne de l'opéra.

<em>Ici vécut</em> : J. Ulric Voyer, au 170, 13e Rue | 12 octobre 2024 | Article par Simon Bélanger

Le compositeur d'opéra Joachim-Ulric Voyer a vécu dans un duplex de la 13e Rue. Il a été construit en 1924 selon les plans de l'architecte Joseph-Siméon Bergeron pour Donat E. Marceau.

Crédit photo: Simon Bélanger + Wikimedia Commons

On retrouve, sur différents immeubles de Québec, 142 plaques Ici vécut. Elles rappellent à nos mémoires des personnes qui ont marqué l’histoire de la ville. Joachim-Ulric Voyer (1892-1935) a laissé son nom dans l’histoire canadienne de l’opéra.

Les amateurs d’opéra se réjouiront de renouer avec ce genre musical très bientôt, alors que l’Opéra de Québec lance sa saison 2024-2025 avec Le Comte Ory, de Rossini, qui sera présenté au Grand Théâtre de Québec le 26 octobre prochain.

L’histoire de la ville de Québec avec l’opéra est étroitement liée à celle de Joachim-Ulric Voyer, un rare compositeur d’opéra dans l’histoire de la musique au Canada.

Une jeunesse musicale et artistique

Joachim-Ulric Voyer est né le 5 juillet 1892, dans le quartier Saint-Roch, à Québec. Il était le fils de Délina Dion et de Napoléon Voyer. Ce dernier avait été gardien de prison à Saint-Georges de Beauce en 1881 et 1882.

Le jeune J. Ulric découvre très tôt son talent pour la musique. Alors qu’il n’avait que cinq ans, il s’est installé seul au piano et lorsque son père est arrivé dans le salon, il aurait été bien étonné de découvrir qu’il s’agissait de son jeune fils et non pas l’une de ses filles plus âgées.

J. Ulric Voyer étudie la musique au Collège Saint-Roch. Plusieurs professeurs assurent sa formation : M. Wallace lui enseigne la musique, M. Lefrançois, organiste des paroisses de Saint-Roch et de Giffard, lui fait découvrir l’orgue. Accompagné d’Edmond Trudel, il apprend le piano avec le professeur Hudson.

Puis, à Montréal, J. Ulric Voyer bénéficie des enseignements de Léon Dessane et Auguste Descarries à l’orgue et à l’harmonie.

Afin de découvrir les rouages de l’orchestration, il fait venir des livres d’Europe : Traité d’harmonie théorique et pratique, de Nikolaï Rimski-Korsakov, Technique de l’orchestre moderne, de Charles-Marie Widor, et Traité pratique d’instrumentation et d’orchestration symphonique, de Jean-Louis Ithier.

En plus de la musique, Voyer est aussi passionné de théâtre. En plus d’assister à plusieurs pièces présentées à Québec, il se lance lui-même dans la rédaction d’une première pièce en 1907-1908 : La boisson.

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Pièce en trois actes et douze scènes, elle sera présentée sur scène à Québec, mais aussi à la radio de CHRC après le décès de son auteur. Celui-ci rédige une seconde pièce en 1923, intitulée Triste réalité. Il pourrait s’agir d’une adaptation de La boisson.

Premières compositions et mariage

La décennie 1910 marque les premières compositions musicales de Joachim-Ulric Voyer. Entre 18 et 22 ans, il compose notamment Suite de valse (1911), la bluette musicale Petite amie (1912) et Prends garde à l’amour – valse chantée (1913).

L’année 1913 marque le mariage entre J.-Ulric Voyer et Alice Bédard, qui a lieu le 22 septembre, à l’église Saint-Sauveur. Les deux sont alors âgés de 21 ans. Voyer dédie d’ailleurs deux pièces à sa dulcinée : Si vous vouliez m’aimer un peu (1913) et À Mlle Alice Bédard : Je te dirais «je t’aime» (1914). Cette dernière, une valse chantée, a été publiée à Montréal aux Éditions Le Passe-temps, sous le pseudonyme de Jean Canada.

En 1914, Voyer publie aux États-Unis, chez John T. Hall Music, Si tu savais.

Entrée dans l’opéra

L’opéra entre réellement dans la pratique de Joachim-Ulric Voyer dans les années 1920.

En 1920, il présente son premier opéra-comique en un acte, La Duchesse en sabots. 45 figurants se retrouvent sur scène les 8 et 9 novembre et le spectacle se fait au profit de l’église paroissiale de Saint-François d’Assise, dans Limoilou. Il s’agirait d’une adaptation de Les chaussons de la duchesse Anne, une opérette de Charles Le Roy-Villars.

Petit-mouton, un opéra-comique en quatre actes, aurait laissé peu de traces, sinon un manuscrit d’une œuvre originale de 144 pages rédigées entre 1920 et 1923, de même que des partitions de violon et de chant.

Puis, en 1923, deux représentations de l’opéra en quatre actes Jean-Marie ont lieu à Québec les 10 et 11 avril. Le livret est issu d’une collaboration avec Alfred Rousseau et François-Xavier Mercier a assuré la direction du spectacle, bien reçu par la critique.

L’œuvre-phare : L’Intendant Bigot

En 1929, la plus importante création de Joachim-Ulric Voyer est présentée à Québec et à Montréal, lors de cinq représentations : l’opéra en trois actes L’Intendant Bigot. Alfred Rousseau collabore de nouveau au livret.

Le Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec (Tome II, 1987) résume l’intrigue de l’opéra.

«Le vieux Québec de 1757. La scène se passe sur les hauteurs de Beauport. Pour payer une dette de jeu, Bigot, dernier gouverneur de la Nouvelle-France, promet au marquis de Saint-Germain la main de la belle Gemma Dumas, déjà fiancée au chasseur Raymond. Bigot paiera de sa vie la colère de Raymond, celle du marquis qui a été joué et, enfin, celle du peuple qui, affamé et pauvre, ne peut plus supporter les duperies de l’Ours-Noir.»

Les 5 et 7 février 1929, deux spectacles se tiennent d’abord au Monument-National, à Montréal, sous la direction d’Albert Roberval. En raison du succès remporté à Montréal, trois représentations s’ajoutent à Québec, dans l’Auditorium de Québec (aujourd’hui le Capitole). Edmond Trudel en assure la direction. De plus, le secrétaire de la province de Québec, Athanase David, assure la présidence d’honneur. Tous les spectacles sont présentés devant des salles combles.

Arnold Becker incarne le rôle de l’intendant Bigot. Il est accompagné sur scène par Paul Trottier, Marie-Rose Descarries et Caro Lamoureux.

Honoré Vaillancourt, qui a monté l’opéra, considérait L’Intendant Bigot comme le premier opéra canadien-français.

Deux enregistrements sonores sur 78 tours de l’opéra de Voyer sont également produits.

Dernier opéra et multiples emplois

Un dernier opéra, composé dans les années 1930, est resté inédit. Mademoiselle de Lanaudière est un opéra-comique en trois actes et quatre tableaux. L’orchestration de l’opéra s’est faite en collaboration avec G. E. Lefebvre et Henri Deyglun a contribué à la composition du livret. Jean Riddez devait assurer la direction artistique d’un spectacle mené par Mercier-Gingras. Les rôles principaux étaient destinés à Marthe Lapointe et Antonio Lamontagne.

Mais le décès prématuré de Joachim-Ulric Voyer a mis fin au projet.

En parallèle de sa carrière de compositeur, celui-ci a occupé une multitude d’emplois, alors qu’il devait assurer la sécurité matérielle de ses 18 enfants. Plusieurs d’entre eux avaient d’ailleurs également la fibre musicale.

Voyer a donc été professeur de piano, greffier à la Cours municipale de Québec, premier organiste à l’église Saint-François d’Assise, professeur de sténographie, dramaturge et gérant de publicité de la compagnie J.B. Renaud.

Joachim-Ulric Voyer a aussi laissé un héritage dans le domaine radiophonique, alors qu’il a cofondé, avec Narcisse Thivierge, la station CHRC. Voyer a d’ailleurs été directeur musical de la station à partir de 1931.

D’ailleurs, à chaque mois, il montait en direct une opérette ou une œuvre classique d’une heure.

Mort prématurée et héritage à découvrir

Le 8 janvier 1935, alors qu’il n’est âgé que de 42 ans, Joachim-Ulric Voyer est emporté par une congestion pulmonaire. Il laisse alors dans le deuil sa femme Alice et 15 enfants (trois étaient décédés en bas âge).

«Citoyen modèle et estimé de tous ceux qui le connaissaient, il laisse le souvenir d’un homme charitable et sociable, mêlé aux activités de sa paroisse et profondément dévoué envers les personnes avec lesquelles il venait en contact», peut-on lire dans l’édition du Soleil parue le jour de sa mort.

Les funérailles ont eu lieu à l’église Saint-François d’Assise. Joachim-Ulric Voyer a ensuite été inhumé au cimetière Saint-Charles.

Sa musique est ensuite un peu tombée dans l’oubli et plusieurs archives ont disparu. Mais le 14 décembre 1996, 75 personnes, descendants du compositeur ou amis, se réunissent à l’Institut canadien de Québec pour entendre des extraits de L’Intendant Bigot.

L’année suivante, le duo lyrique Laplante-Duval enregistre un extrait de l’opéra («Ô, mon ami, veuille le dire encore») sur l’album L’opérette française. Le duo interprète ensuite ce morceau en tournée mondiale.

Puis, en août 1998, lors des Fêtes de la Nouvelle-France, on présente des extraits de L’Intendant Bigot dans le Jardin des Gouverneurs, sous la direction du chef d’orchestre Gilles Auger. Les artistes lyriques sont accompagnés par des musiciens de l’Orchestre symphonique de Québec. Jacques Boulanger s’occupait de la narration et de la présentation des airs.

En 2000, le Nouveau Théâtre Musical publie la partition pour voix et piano du plus connu des opéras de Voyer. Sept ans plus tard, il publie divers extraits : «Ronde de l’Ours-Noir», «Quel sublime décor», «Dans un petit village» et «Dans l’abandon, les noirs regrets».

La Ville de Québec rend également hommage à Joachim-Ulric Voyer en septembre 2006, en posant une plaque commémorative sur la façade d’une maison qu’il a habitée sur la 13e Rue.

Une section du site de la Ville de Québec rassemble la liste des plaques Ici vécut.

Sources

Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Fonds Joachim Ulric Voyer.

BIZIER, Gilles, «J.-Ulric Voyer», L’Encyclopédie canadienne, 12 mai 2016.

Généalogie du Québec et d’Amérique française, Généalogie Napoléon Voyer.

Généalogie du Québec et d’Amérique française, Généalogie Ulric Voyer.

Le Soleil, «Mort subite de monsieur Ulric Voyer», 8 janvier 1935, p. 1.

Le Soleil, «Obsèques de M. Ulric Voyer», 14 janvier 1935, p. 5.

Société des amis et descendants d’Ulric Voyer, «Voyer Ulric [1892-1935], compositeur», ResMusica, 10 août 1999.

Ville de Québec, «Fiche d’un bâtiment patrimonial – 168 à 170, 13e Rue», Répertoire du patrimoine bâti.

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