On retrouve, sur différents immeubles de Québec, 142 plaques Ici vécut. Elles rappellent à nos mémoires des personnes qui ont marqué à leur façon l'histoire de la ville. Le nom de Victor Delamarre (1888-1955) est peut-être moins connu que celui de Louis Cyr, mais il s'est inscrit dans la longue tradition des hommes forts du Québec.
Ici vécut : Victor Delamarre, au 205, rue De Lanaudière
On retrouve, sur différents immeubles de Québec, 142 plaques Ici vécut. Elles rappellent à nos mémoires des personnes qui ont marqué à leur façon l’histoire de la ville. Le nom de Victor Delamarre (1888-1955) est peut-être moins connu que celui de Louis Cyr, mais il s’est inscrit dans la longue tradition des hommes forts du Québec.
Les Jeux olympiques de Paris 2024 nous font encore une fois apprécié les exploits sportifs d’athlètes d’ici et d’ailleurs. Cette année, les épreuves de force sourient particulièrement à la délégation canadienne, alors que le lancer du marteau a couronné deux champions canadiens, Ethan Katzberg et Camryn Rodgers. De son côté, l’haltérophile québécoise Maude Charron a remporté une médaille d’argent en haltérophilie, trois ans après avoir remporté l’or à Tokyo.
Les concours d’hommes forts ont aussi longtemps couronné des forces de la nature d’ici, de Louis Cyr à Hugo Girard.
Il ne faudrait pas cependant pas oublier l’héritage laissé par Victor Delamarre, originaire d’Hébertville, qui a vécu une partie de sa vie sur la rue de Lanaudière, dans Limoilou. Revenons sur la vie de ce »Roi des hommes forts», qui a laissé sa marque en haltérophilie comme en lutte.
Entre la ville et la campagne
Le 24 septembre 1888, Victor Delamarre voit le jour dans le village d’Hébertville, tout près du Lac-Saint-Jean. Son père Charles, originaire de Québec, a épousé en 1870 à Hébertville Marie Tremblay, elle-même originaire des Éboulements. Le couple s’était d’abord établi à Québec, avant de s’installer à Hébertville, où Charles Delamarre travaille dans un moulin à bois. Le couple aura 13 enfants.
Peu après la naissance de Victor, la famille revient s’établir à Québec, où elle vit dans plusieurs endroits de la basse-ville. À l’âge de 8 ans, il incarne même le rôle de Saint-Jean-Baptiste le 24 juin, lors de la fête se déroulant dans Saint-Sauveur.
Victor Delamarre commence à s’entraîner dans un gymnase à la salle Tanguay, dès que l’école est terminée. Il participe d’ailleurs à quelques tournois de boxe et remporte des tournois. Son père tente de le dissuader de se rendre au gymnase, en vain. Il décide donc d’envoyer son fils du côté d’Hébertville, dans le calme de la campagne.
Là-bas, Victor Delamarre travaille sur une ferme voisine de la maison de son oncle Thomas Tremblay. Un autre oncle, l’abbé Elzéar Delamarre, prend également le jeune Victor sous son aile et s’assure qu’il complète sa scolarité. Le prêtre est également derrière la fondation de l’Ermitage Saint-Antoine, lieu de pèlerinage catholique à Lac-Bouchette. Victor Delamarre a d’ailleurs contribué à sa construction.
Premières épreuves de force
Déjà bien jeune, on constate que Victor Delamarre est particulièrement fort. Il aurait notamment soulevé son oncle Maxime, qui pesait 150 livres.
Lorsque Victor a 15 ans, toute sa famille quitte Québec et s’établir à Lac-Bouchette, où Charles Delamarre achète une ferme. Victor y travaille alors.
Il commence aussi à se faire connaître au village et se fait défier par un contremaître responsable de travaux de construction sur une voie ferrée. En réponse au défi, le jeune Victor aurait soulevé un rail de 550 livres, qu’il aurait réussi à lever jusqu’à ses genoux.
Il s’amuse également avec des amis à soulever des bûches de bois et des barres. Victor Delamarre commence aussi à pratiquer l’haltérophilie, dans tout ce que cette discipline avait de rudimentaire à cette époque. Il s’entraîne avec des outils et instruments bien rudimentaires entre 1906 et 1912, avant de commencer à fréquenter un gymnase. Le jeune homme aurait même déjà déclaré à sa sœur qu’il battrait le record de Louis Cyr lorsqu’il aura 24 ans.
Départ vers la métropole et premier exploit public
Pour accomplir son rêve, Victor Delamarre devait s’exiler vers la métropole. Il effectue en 1908 une visite chez son oncle Eugène Tremblay, lui-même un lutteur. Il était propriétaire d’une taverne au-dessus de laquelle se trouvait un gymnase où s’entraînaient plusieurs hommes forts, dont Horace Barré.
Après un bref retour au Lac-Saint-Jean, pour travailler sur un chantier et faire de la drave, il s’installe à Montréal, où il travaille comme menuisier et contremaître-maçon au port de Montréal. Il fréquente également les clubs athlétiques d’importance. Victor Delamarre a même l’occasion de rencontrer Louis Cyr.
Comme sa réputation d’homme fort s’établissait de plus en plus, il parvient à se faire engager dans la police, même si sa petite taille était sous les standards alors exigés. Il pesait alors 154 livres. Victor Delamarre continue de s’entraîner et de se familiariser avec les techniques entourant les haltères.
Le 2 avril 1914, au théâtre Arcade, devant un public et au moins trois journalistes, Victor Delamarre serait parvenu à soulever une haltère de 309,5 livres de la main gauche, la porter à son genou, puis à son épaule, avant de faire un dévissé au bout du bras et de maintenir le poids dans les airs pendant trois secondes. Il aurait ainsi battu le record de Louis Cyr, qui s’élevait à 273,25 livres.
Victor Delamarre devient alors une vedette sportive et pour les autres hommes forts, l’homme à battre. Plusieurs remettent d’ailleurs en doute ses exploits. À la demande de son oncle Elzéar, il retourne toutefois au Lac-Bouchette en 1914, pour l’aider dans la construction de l’Ermitage.
Nouveaux exploits
Tout en aidant sur la ferme de ses parents et dans le sanctuaire de son oncle, Victor Delamarre trouve le temps de poursuivre ses démonstrations de force.
Il devait aller au championnat du monde de poids et haltères à Lyon en 1914, mais la guerre et son mariage à venir avec Elmina Garneau l’en empêchèrent. Ses exploits se traduisent quand même à travers le travail qu’il fait pour aider son oncle. Il aurait ainsi aidé à déplacer des statues particulièrement lourdes…
Il commence aussi à faire des tournées entre avril et octobre, pour faire des démonstrations de force. Plusieurs hommes veulent lui disputer la suprématie.
Des duels qui n’ont pas lieu
C’est ainsi qu’Hector Décarie, de Montréal, se rend à Saint-Félicien le 9 janvier 1921 pour démontrer sa propre suprématie face à Delamarre. Les deux hommes ne parviennent cependant jamais à s’entendre sur les modalités d’une confrontation. Le projet doit donc avorter.
Le 24 février 1922, un affrontement est cette fois prévu entre Victor Delamarre et Arthur Dandurand, à Québec. Delamarre l’emporte, alors qu’il aurait soulevé 201,5 livres avec un seul doigt.
La même année, un match devait opposer Victor Delamarre à Wilfrid Cabana, un duel fort attendu. Une campagne publicitaire annonçait la confrontation à venir et trois juges avaient été sélectionnés.
Les négociations entourant le contrat ne se déroulent pas très harmonieusement. Cabana exigeait 2 000 dollars, avec une avance de 1 500 dollars avant le début du match. Devant le refus du camp opposé, Wilfrid Cabana quitta les lieux. Victor Delamarre offrit au public de faire une démonstration, mais les spectateurs lui ont fait savoir leur refus.
Voyages en Amérique du Nord, lutte et fin
Victor Delamarre n’aura pas beaucoup eu de confrontations directes avec ses adversaires, mais il s’est promené sur le continent. De Trois-Rivières à Montréal, en passant par l’Ontario, New York et même Hollywood, Delamarre tente aussi de se faire un nom et une réputation.
En 1931, il se réoriente dans une nouvelle discipline : la lutte. Durant sa carrière de 19 ans en lutte, il aurait livre environ 1500 combats dans différentes villes du Québec. Parmi ses adversaires, notons les Yvon Robert, Bob Langevin, Chief War Eagle ou Boris Demetroff.
En 1951, Victor Delamarre repart en tournée, alors qu’il est âgé de 61 ans. Il se donne d’abord en spectacle au Colisée de Québec, avant de se diriger vers la Beauce, les Cantons-de-l’Est l’Ontario, le Bas-Saint-Laurent, la Côte-Nord, le Saguenay, le Massachussetts et le Manitoba. Il se rend même jusqu’à Vancouver.
En 1954, il commence à planifier une tournée en Louisiane, au cours de laquelle il souhaitait battre son propre record. Toutefois, des douleurs abdominales commencent à apparaître au début de l’année 1955. Il est hospitalisée en février à l’hôpital Saint-François-d’Assise, où on lui diagnostique une «jaunisse pernicieuse». Il est opéré le 26 février, mais rien n’y fait.
Victor Delamarre s’éteint à l’âge de 67 ans, dans la nuit du 13 au 14 mars 1955. Il est conduit à son dernier repos au cimetière Saint-Charles.
Postérité et héritage controversé
Aujourd’hui, le nom de Victor Delamarre est présent dans la toponymie québécoise. Deux rues portent son nom, une dans le quartier Vanier à Québec et une autre dans le secteur de Pointe-aux-Trembles, à Montréal. À Lac-Bouchette, la route 155 prend le nom de Victor-Delamarre.
De plus, à l’Ermitage Saint-Antoine, on trouve le Centre Elzéar-Delamarre, qui accueille une exposition consacrée à Victor Delamarre. Un documentaire doit d’ailleurs être présenté au public en 2024.
Également, en 1973, Raymond Desbiens a contribué à faire connaître Victor Delamarre. Il a publié le livre Victor Delamarre, “Superman” du Québec. Il a également monté le dossier pour permettre l’intronisation de Delamarre au Panthéon des sports canadiens.
Toutefois, les exploits de Victor Delamarre ont aussi ses sceptiques. Déjà à l’époque, Hector Décarie et Wilfrid Cabana auraient multiplié les lettres ouvertes dans les journaux. Ils l’auraient défié de répéter son exploit devant eux, mais cette confrontation n’a jamais eu lieu. Delamarre lui-même répondait dans des correspondances.
Ses détracteurs déplorent d’ailleurs que Delamarre refuse de laisser le public peser ses poids et soulignent qu’il ne s’est frotté directement à un véritable homme fort, alors que les confrontations avec Décarie et Cabana ont toutes deux avorté.
Encore aujourd’hui, ses exploits sont remis en question ou défendus, selon le camp. Lors de la sortie du film Louis Cyr : l’homme le plus fort du monde en 2013, Sara-Kim Delamarre, arrière-petite-fille de Victor, a pris la plume pour défendre son aïeul, alors que certains ont remis en doute ses exploits dans divers blogues et médias.
D’un côté, Paul Ohl, qui a signé une biographie sur Louis Cyr, a souligné que Cyr et Delamarre n’avaient pas la même technique pour le dévissé.
Dans son blogue Le Guerrier moderne, Gino Vaillancourt, qui s’est entretenu avec plusieurs hommes forts, va plus loin, en qualifiant même Delamarre d’«imposteur de la force».
En revanche, même si ses critiques expriment des doutes sur ses exploits, tous reconnaissent quand même que Victor Delamarre était beaucoup plus fort que la moyenne des ours…
Une section du site de la Ville de Québec rassemble la liste des plaques Ici vécut.
Sources
Commission de toponymie du Québec, «Victor Delamarre».
DELAMARRE, Sara-Kim, «Le successeur de Louis Cyr«, La Presse – Courrier des lecteurs, 20 juillet 2013.
DESBIENS, Raymond, Victor Delamarre, “Superman” du Québec, Éditions La Presse, Montréal, 1973, 107 p.
GAUDREAU, Serge, «La saga des héritiers de Louis Cyr», Histoire Engagée, 15 juillet 2013.
GAUTHIER, Myriam, «Delamarre, le “roi de la force”», Le Quotidien, 5 juillet 2013.
J.L.H., «Il y a 100 ans, Victor Delamarre battait un record de Louis Cyr», L’Étoile du Lac, 17 septembre 2014.
PELCHAT, Pierre, «L’héritage de Louis Cyr: le Québec des hommes forts», Le Soleil, 14 juillet 2013.
TREMBLAY, Jean, «Ermitage Saint-Antoine au Lac-Bouchette – Documentaire en 2024 sur “l’homme fort” Victor Delamarre“, L’Étoile du Lac, 25 octobre 2023.
VAILLANCOURT, Gino, «Victor Delamarre n’était qu’un imposteur de la force», Le Guerrier moderne, 28 mars 2015.
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